Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/406

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de gardes du corps excita l’admiration publique. Bottés à l’écuyère, casqués de hautes chenilles courbes, culottés de blanc, cuirassés de brandebourgs blancs, la lèvre rase et la mine funèbre entre les favoris, ils scandaient le pas à la suite des deux trompettes qui appuyaient contre la hanche le pavillon de leurs instruments lumineux. Ils ouvrirent un passage dans les lignes de la garde nationale au défilé des tapissières. Grenelle s’en alla vers les bosquets de Belleville et de Romainville, emmenant, au gré des cahots, ses familles joueuses de mirliton, ses jeunes filles d’organdi, ses jeunes gens de nankin, et ses toutous frisés comme des agneaux.

Tant que les chevaux allèrent au pas dans les files de berlines, Édouard, incliné sur la selle, vers les mines provocantes de Denise, lui conta fleurette. À chaque phrase, l’âme du jeune homme venait à son visage, une âme de passion douloureuse, défiante, qui se crispait dans le sourire amer, dans le froncement bref des sourcils. Apparemment, Denise se jouait de ces violences intérieures ; elle les accrut par mille coquetteries délibérées. En vain Édouard, à plusieurs reprises, tenta de se redresser sur le cheval, de s’amuser aussi des gens, de parfaire sa propre élégance de jeune centaure en habit haut boutonné et en chapeau brun. Bientôt il se penchait vers la face claire de la jeune fille, sous le prétexte d’une remarque. Il s’agitait comme une flamme, se contournait, prenant à témoin de son amour la foule, semblait-il, tant son regard défiait les hommes assez hardis pour contempler ses parentes étendues sur le satin jaune de la calèche.

Omer supputa la force de cette passion. Moins pour sa sœur que pour son cousin, il estima beau de leur sacrifier ses libres espoirs en prenant la soutane. D’ailleurs, la distinction essentielle entre les aristocraties et les masses, les bergers et les troupeaux, Omer commençait de la croire beaucoup plus positive que ne