Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/451

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Il ne reparaissait plus dans son hôtel, rue de Babylone, même point à l’heure des repas. Omer et son précepteur mangeaient seuls dans la vaste salle aux parois d’acajou poli et aux glaces étroites, encadrées de bronze vert. Deux laquais militaires servaient sans bruit quelques mets simples sur des plats de vieille argenterie massive et parée de blasons allemands, autrichiens, russes ; les cahots des fourgons la transportant, après les pillages, l’avaient bossuée. L’ecclésiastique l’admirait, déchiffrait les devises et traduisait. Bel homme, en soutane fine, il présentait des mains de vieille dame qui jouaient mille rôles prestes pour indiquer les phases d’un raisonnement, décrire une œuvre d’art ou caresser le calice d’un verre plein, dont il savourait la liqueur en gourmet adroit. Il ne fardait pas son dédain. Émettre un avis attirait à l’élève des critiques insolentes : ce savant paraissait quelque génie doué comme un prince de conte oriental, et qui méprisait à bon escient. Omer n’osa plus souffler mot. C’était d’ailleurs sa coutume quand il se trouvait en présence de gens supérieurs. Il adoptait le silence comme règle d’orgueil, afin d’éviter les reculades dans la discussion, et les victoires du contradicteur. Le comte, le général, le grand-père, le bisaïeul et le capitaine Lyrisse pouvaient à leur aise discourir : il ne proposait les objections qu’à part soi. Sa mère et ses tantes jouissaient du même avantage. Il leur répliquait peu ; il éludait habilement.

Le Père Desromes n’avait donc point à réprimer des turbulences, ni à relever des erreurs de conversation. Il s’accommoda de cet élève muet, sage, d’intelligence sûre, mais rétive. Soigneux du détail, le professeur dessinait des cathédrales, des confessionnaux, des vierges, des christs et des scènes de piété pendant qu’Omer étudiait ses livres ou rédigeait une dissertation. Quand l’habitude fut prise, l’élève vit entrer son maître avec