Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/472

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biller à la manière des femmes perdues. La tante Aurélie me gourmande parce que j’ai besoin de la voiture pour aller chez la couturière ; Delphine ne saurait pas supporter, la délicate ! mon petit chien à table ; Émile m’accuse de sottise parce que je refuse de lire, toute la journée, Plutarque. Toi, tu m’insultes en m’imputant des inconvenances imaginaires… Je suis à bout de patience… et s’il me faut acheter à ce prix-là le nom de Praxi-Blassans, je préfère me marier tout de suite avec le premier qui demandera ma main, avec le premier homme honorable, s’entend, fût-il plus âgé que moi. Il ne manque pas de colonels ou de généraux pour qui ma part des Moulins Héricourt…

― Et le vœu de notre père ?…

― Ce n’était pas de voir sa fille malheureuse, avilie par tous, humiliée par tous… Je veux fuir d’ici… Je ne veux être ni la domestique des fantaisies, ni l’esclave des manies des autres ! Mon honneur et ma dignité me le défendent ! Je veux manger comme il me plaît, ce qui me plaît, et partager avec mon chien, sans qu’on m’afflige. Je ne veux pas me vêtir de noir comme une orpheline d’œuvre de charité. Je veux rire et causer, en dépit des espions, avec qui m’amuse. Je veux être chez moi ma maîtresse, enfin !… C’est justement tout ce qu’on m’interdit, tout ce qu’on m’interdira, si je reste dans cette famille… D’abord, je n’épouserai qu’un soldat glorieux…

― Prends garde de retourner au couvent !…

― Édouard ne le permettrait pas.

― Alors, tu ne rougis pas d’utiliser sa passion pour tes folies, quand tu te détermines à tromper son amour ?

― Je… je…

Elle se tut, réfléchit, suffoqua, puis fondit en larmes…

― Ce que tu te proposes là, ― reprit Omer, ― c’est une déloyauté atroce ! Et tu parles d’honneur !