Page:Adam - La Force (1899).djvu/15

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galons du grade, et mettait à nu la doublure. Ses mains noircies par le cirage des brides lu répugnaient autant que les effluves de sueur et de cuir. Le cheval fumait aux flancs. Le poil puait. Bernard envia ses frères, les marins, qui, de Dunkerque, menaient leurs trois-mâts aux côtes barbaresques. Sur quelles mers de soleil, à cette heure, respiraient-ils la brise gonflant les voiles qui inclinent le navire contre la pente infinie des eaux ?

Or, il aperçut une miche aux mains d'un bûcheron qui en coupait des tranches pour ses camarades ; et il frissonna de convoitise. Sa bouche huma l'air comme si le goût du pain rassis lui pouvait parvenir au-dessus du vallon ; sa main pesa sur les rênes, comme si la bête allait bondir, docile à l'instinct secret de l'homme, vers la proie. Rustres en bas bleus, les bûcherons mangèrent. Héricourt chercha de la salive et regarda les houzards, leurs mufles barrés de moustaches roussies ou leurs profils de vautours que les tresses des cadenettes dépoudrées unissaient aux schakos. Leurs narines poilues flairaient l'air aussi. Il y avait là Hermenthal, qui mangeait crues les volailles de la maraude ; Auscher, dont le poing défonçait un tonneau ; Mercoeur, qui avait eu la vie de quatorze contradicteurs sur les terrains de duel. Efflanqués, boueux, ils demeuraient à la tête de leurs chevaux, dont les harnais et les sangles avaient écorché le cuir. Du sang s'agglutinait entre les poils roux ; les mouches se repaissaient de la chair à vif, malgré que la peau des alezans se ridât pour les chasser. "Héricourt, pria Mercoeur, laisse-nous aller aux vivres. - Faisons patrouille, proposa Hermenthal, chez ces goinfres. L'ennemi pourrait bien cueillir la noisette de l'autre côté du vallon. Faut y voir !" Ils goguenardaient ; ils se hissèrent en selle. Comme à l'ordinaire, Héricourt donna l'ordre qu'ils exigeaient de