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Page:Adam - La Force (1899).djvu/244

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ormes et laissa la ville endormie dans son nid de fortifications.

On ne l’attendait pas encore aux Moulins Héricourt. Longtemps il dut frapper à la porte cochère encastrée dans les hauts murs crépis de frais. On avait remis dans sa niche l’antique Vierge de marbre décapitée par les Jacobins ; trois agrafes de fer rattachaient maintenant le cou aux épaules. C’était une sorte de palladium que les générations successives des Héricourt respectaient pieusement. Enfin des pas craquèrent sur le sable. On retira les barres intérieures, un meunier entrouvrit et le reconnut : « Entrez, M. Bernard ! » Sur le perron, Cavrois élevait une lampe : « C’est Bernard, je crois !… Venez donc, Caroline ! — Oh ! mon frère ! mon pauvre frère ! » s’écria-t-elle, en joignant les mains, et ses bras tendirent son écharpe. Le beau-frère rassura de suite sur l’état de M. Héricourt. Bien qu’on eût de ses nouvelles par intermédiaire seulement, il devait être au mieux dans la maison de Dunkerque. « Mais, toi, toi, reprit Caroline, tu as perdu ton grade… Comment as-tu fait ? Ah ! mon Dieu ! Et ta femme ?… Aurélie ?… Entre. Défais ton manteau. Tu coucheras dans ta chambre… Lise, mettez des draps dans le lit de mon frère… Augustin a vu le général Oudinot… Cavrois a vu Junot qui donnera un papier aussi… Mon Dieu, que de malheurs ! Et le père, hein ? Comment est-il parti de chez vous ? Miserere nobis, Domine !… Veux-tu des œufs et du jambon ; c’est cela… Approche du feu… Joseph, fais descendre le tire-botte !… Ah, mon petit Bernard, pourquoi as-tu conspiré ? À quoi ça nous avance, hein ?

— Mais je n’ai pas conspiré, dit Bernard.

Quos vult perdere Jupiter dementat, cita Caroline, usant de son latin « Le Ciel rend fols ceux qu’il veut perdre. » Tu avais bien besoin de blâmer l’Empe-