Page:Adam - La Philosophie en France.djvu/16

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mérite de voir, bien qu’ils les aient singulièrement exagérés. D’autres, au contraire, se piquent d’une fidélité non moindre à la cause de la liberté et à celle de la raison. Rationalistes et libéraux, ils se montrent moins soucieux des devoirs de l’homme que de ses droits ; jaloux de sauvegarder à l’individu son indépendance, surtout celle de la pensée, plutôt que d’assurer aux masses, comme ils disent, un sort meilleur, étrangers en cela de plus en plus aux aspirations de leur siècle, ils se trouvent bientôt surpris par la révolution de 1848, et ils restent sans réponse et sans défense, en face des réclamations et des attaques qu’ils ont trop dédaignées. Le monde marche autour d’eux, et c’est à peine s’ils s’en aperçoivent : satisfaits du présent, toujours sur la défensive à l’égard d’un passé dont le retour cependant est de moins en moins à craindre, ils ne regardent que de ce côté, le dos tourné à l’avenir. Au contraire les saint-simoniens, et avec eux les positivistes, songent à un état futur et meilleur de la société humaine. Ils ont foi au progrès, et c’est même un sujet d’étonnement pour eux de voir combien cette foi manque aux libéraux. Ils pourraient dire de ceux-ci, comme George Sand rapportant une conversation entre Armand Carrel et Michel de Bourges : « Ils parlèrent du peuple. Je fus abasourdie : Carrel n’avait pas la notion du progrès. » Et Pierre Leroux raconte que le même Armand Carrel avait fait défense au National de prononcer jamais le nom des prolétaires. Mais, parce qu’on ne parle pas d’une question, la question existe cependant. Les disciples de Saint-Simon pensent que le passé est disparu pour toujours, ce qui les rend indulgents à son égard ; mais ils n’entendent pas pour cela s’arrêter au présent ; leur devise est : « En marche, toujours en marche vers l’avenir ! » Considérant volontiers l’humanité entière comme un seul homme, ils ont foi aussi en elle : ils la croient non point parfaite, assurément, mais perfectible ; et cette perfectibilité