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LE SERPENT NOIR

attentif pour la jaquette anglaise un peu blanchie aux coutures, pour les pieds en grosses bottines lacées, pour la maigre figure semée de rousseurs par-dessous le hâle, pour le chapeau de paille déteint et la chevelure incolore massée en catogan sur le col plat de la nuque fragile, cela l’émouvait, la grisait même un peu. De tout cœur, elle s’évertuait, à me distraire. Chaque visage famélique creusé par les affres du fanatisme, elle le comparait aux visages qu’avaient peints les Primitifs. Pendant son voyage de noces, qui semblait resplendir dans sa mémoire comme une lumière de félicité non pareille, elle avait salué les œuvres de ces vieux maîtres dans les villes bataves. flamandes et germaniques, enfin dans Paris. À retrouver sur les faces bretonnes l’âme parente de celles fixées jadis sur les triptyques des églises et des oratoires, par le pinceau des croyants, elle se persuadait davantage que l’Inspiration Éternelle dirige les esprits des nations pieuses et l’art de leurs imagiers. Sans qu’elle l’avouât, je le devinai. Tout aussitôt je lui dis, comme provenant de mon cru, ce que je soupçonnais être sa pensée profonde. Ce devait nous mettre d’accord. Utilisant ainsi ma sagacité psychologique, j’ai toujours réussi à me créer les sympathies nécessaires, du moins provisoirement. Mme Goulven possédait une âme simple que j’eus vite jaugée.

Certes il eût été malhabile de me travestir en dévot. Elle eût éventé la ruse. Mieux valait faire le sceptique tolérant que le dogme ne trouve pas agressif, et qui s’intéresse aux choses de la piété en observateur consciencieux, doué de vénération pour une force sociale capable, jusqu’ici, de tant de miracles historiques. Je feignis de demeurer confondu devant la