Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/118

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d’œil sur l’orchestre, par-dessus la tête de mes voisins, m’attendant à voir le chef désespéré et tâchant de ramener l’harmonie parmi ses discordants subordonnés. Pas du tout, il battait la mesure bien tranquillement, comme si cela eût été le mieux du monde.

Je remarquai seulement que les musiciens avaient la figure fort animée et le nez tout à fait sur leurs cahiers ; ils n’étaient pas rangés symétriquement comme à l’ordinaire, et cela me fit prendre ma lorgnette. Oh ! alors je vis le plus étrange spectacle qu’on puisse imaginer ! Un musicien avait fourré le pavillon de sa trompette dans la poche de son camarade assis devant lui, et ne paraissait nullement étonné du son bizarre et inaccoutumé de son instrument, tandis que le camarade regardait d’un air fort surpris d’où pouvait venir le vent qui soufflait entre les basques de son habit. Un contre-bassier, tenant son instrument d’une main, frottait gravement son archet sur le tabouret placé entre ses jambes : mille folies pareilles se faisaient remarquer dans chaque coin de l’orchestre, et pas un spectateur n’avait l’air d’y faire attention.

L’ouverture finie, on applaudit très-fort, et même mon voisin dit à deux ou trois reprises : Very good band, very good band. Le premier acte fut exécuté de la même façon, quant à l’orchestre au moins, et toujours à la grande satisfaction du public. Dans l’entr’acte, je voulus lier conversation avec le voisin qui trouvait l’orchestre si bon ; j’eus l’air de partager son admiration ; cependant je lui dis qu’il me sem-