Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/122

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ces immenses voitures ? Vous avez sûrement remarqué quelque jeune personne mise simplement, mais non sans goût, coiffée d’un chapeau de carton-paille en été, ou de pluche en hiver, vêtue d’une robe de guingamp ou de mérinos foncé, tenant un rouleau de musique sous le bras, ayant la montre suspendue à la ceinture, y jetant l’œil à chaque minute, faisant la moue à chaque voyageur qui monte ou qui descend, et semblant accuser chaque voisin de la lenteur de la lourde machine. Jeune homme à un premier rendez-vous n’est pas plus pressé d’arriver ; et cependant à quelle fête, à quelle partie de plaisir court-elle avec tant d’empressement ? Elle va s’enfermer pendant cinq ou six heures de suite dans une chambre souvent sans feu, faire ânonner à une douzaine de petites filles les études de Bertini, les fantaisies de Herz ; puis, après avoir fait redire vingt fois la même chose à ses indociles écolières, entendu douze fois les vingt-quatre gammes majeures et mineures, répété à chacune : Passez le pouce, Mademoiselle, ne mettez pas le petit doigt sur les dièzes ; ou autres choses aussi réjouissantes, elle rentrera chez elle, pour travailler à son tour : là clouée devant son piano sur quelques morceaux difficultueux de Chopin ou de Kalkbrenner, elle essaiera d’exécuter les passages les plus difficiles, afin d’aller le lendemain recevoir sa leçon au Conservatoire où elle doit concourir. Aussi, quel bonheur si elle pouvait remporter le premier prix de piano ! C’est que pour elle, tout est là. Alors elle pourra trouver de meilleures leçons, être reçue dans les plus riches maisons,