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Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/142

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Pourceaugnac, à cette différence près que M. Jourdain, doublement irrité, y mettait une ardeur inconcevable, qu’excitait encore le fou rire de tous les spectateurs, qui ne pouvaient plus se contenir. Chaque fois qu’il s’avançait vers le muphty, celui-ci, baissant la tête comme un bélier, le repoussait à l’autre bout du théâtre avec son interminable coiffure, dont il se défendait comme un taureau de ses cornes. Le pauvre M. Jourdain crut enfin mieux prendre son temps ; il se précipita tout d’un coup vers son adversaire, croyant pouvoir l’étreindre entre ses bras ; mais celui-ci s’était si vivement jeté à terre, qu’il parvint à mettre le pauvre Jourdain à cheval sur son monstrueux turban, et, pendant qu’il roulait à terre embarrassé dans ce nouvel obstacle, il se dégagea lestement, et, faisant semblant de tomber, il se précipita dans l’orchestre et entra jusqu’à mi-corps dans le clavecin qui y était, et fit encore mille folies en achevant de le briser comme s’il ne pouvait parvenir à en sortir. Le roi n’avait pas attendu ce dernier lazzi pour déposer sa mauvaise humeur : depuis cinq minutes il riait comme un roi ne rit pas, et disait, en s’essuyant les yeux, que jamais il ne s’était tant amusé de sa vie.

Après la représentation, Lully se mit sur son passage, et le roi lui dit les choses les plus flatteuses, l’assurant qu’il était l’homme de France le plus divertissant qu’il connût. Le musicien prit alors l’air le plus affligé qu’il put :

— Voilà précisément, lui dit il, ce qui me rend fort à plaindre ; car j’avais dessein de devenir secrétaire de