Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/16

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tu seras tué comme les autres ; quel malheur que tu ne sois pas une fille !

J’avais près de cinq ans lorsque ma mère devint enceinte. Sa joie fut extrême, car elle se croyait sûre d’avoir une fille qui, au moins, ne lui serait pas enlevée. Son désespoir fut très-grand d’accoucher encore d’un garçon, et la crainte de nous perdre un jour, rendit encore plus vive la tendresse qu’elle avait pour mon frère et pour moi.

Mon père adorait ma mère, et pour lui procurer tous les plaisirs qu’aime une jeune femme, il dépensait tout son revenu qui était assez considérable. Lorsque les armées étrangères envahirent la France, les leçons de piano furent suspendues par presque toutes les élèves, et mon père se trouva réduit à ses appointements du Conservatoire et aux émoluments qu’il recevait dans un ou deux grands pensionnats de demoiselles.

L’occupation de Paris par les Alliés ne fut regardée par ma famille que comme une délivrance. Je me souviens que le jour de l’entrée de ces troupes, mon père me mena, avec mon frère, voir défiler cette immense armée sur les boulevards : la Madeleine n’était pas bâtie, et c’est sur un des tronçons de colonnes en construction que nous vîmes passer l’Empereur de Russie, les autres souverains et toute leur armée, chaque soldat ayant à la tête une branche de feuillage. Les femmes agitaient des mou-