— Je crois bien, poursuivit Petit-Pierre ; et ces six bouteilles que nous volâmes ensemble et que j’allai vendre pour ton compte, pour t’acheter un violon ?
— Certainement, continua Lully, ce fut là la source de ma fortune. Je m’exerçais seul sur cet instrument, dont j’avais reçu les premières leçons dans mon pays, d’un bon cordelier, qui m’avait aussi appris à jouer un peu de la guitare.
— Le dernier jour où nous nous vîmes, reprit Petit-Pierre, fut celui où l’on nous avait chargés tous deux de veiller sur le rôti de la princesse. Ennuyé de tourner la broche depuis une demi-heure, tu allas chercher ton violon ; moi j’étais en extase à t’écouter, et puis tout à coup un grand seigneur parut derrière nous, il t’emmena, et je ne t’ai plus revu. Mais pendant que je t’admirais de toutes mes oreilles, le rôti avait brûlé, et quand le chef revint, j’eus le fouet et je fus chassé à l’instant même.
— Le grand seigneur qui m’emmenait était le comte de Nogent, continua Lully, des appartements il avait entendu mon violon, et attiré par ses accords, il était descendu jusqu’à notre rôtisserie ; il me mena à la princesse, qui parut fort surprise de mon talent. On me donna un maître, je devins habile en peu de temps, et je fus maître à mon tour.
J’avais à peine 19 ans, que le roi voulut m’entendre et me retint à la cour ; il créa une nouvelle bande de violons, dont on me donna l’inspection ; enfin j’eus du talent et du bonheur, et tu vois où je suis arrivé. Mais toi, qu’es-tu devenu ?