Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/180

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en son honneur ; alors ils entonnaient tous ensemble une mélodie satanique dont les paroles étaient : Bravo, Longino ! À ce dernier trait, sa tête se perdait, et il se précipitait dans la mer, dont il atteignait bientôt le fond. Le choc fut rude, car il se réveilla en sursaut couché par terre entre son lit et celui de la petite Titine qui reposait paisiblement pour lui ; il était couvert d’une sueur glacée, et il fut quelque temps avant de reprendre ses esprits.

Quand il se remit dans son lit, son parti était pris. Je ne débuterai pas, se dit-il ; dès demain je pars ; je retourne à Paris : on me rendra certainement ma place à l’Opéra et aux Bouffes, c’est toujours du pain d’assuré, et puis j’ai encore d’autres ressources : le dimanche je jouerai du serpent à Saint-Eustache, et les jours de revue, du trombone dans la garde nationale : on ne regarde pas à la taille, là, et ils seront bien heureux de me retrouver, car je n’ai certainement pas été remplacé, et je ne le serai de longtemps pour ces instruments-là. Cette résolution lui donna du calme, il ne tarda pas à se rendormir, et si de nouveaux rêves, se présentèrent à son imagination, ils étaient d’une tout autre nature. Il se voyait à Paris premier sujet d’un grand théâtre, il ne se reconnaissait pas, il avait pris de l’embonpoint, sa figure était devenue plus mâle. Titine était toujours avec son père, mais ce n’était plus une petite fille, c’était une grande et jolie demoiselle, et lui, jeune encore, était fier d’avoir une si charmante fille. Les auteurs et compositeurs s’empressaient autour de lui, on le suppliait