Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/72

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sait encore, en France, que deux ou trois partitions. Sitôt qu’il en paraissait une nouvelle, Boïeldieu convoquait toute sa classe ; l’un de nous se mettait au piano, et on exécutait d’un bout à l’autre le nouveau chef-d’œuvre, tandis que notre professeur nous en faisait remarquer les légères taches et les nombreuses beautés. « Mes enfants, nous disait-il ensuite, voici la meilleure leçon que je puisse vous donner : il faut, avant tout, étudier les auteurs qui ont du chant, et on ne reprochera pas à celui-là d’en manquer. »

Ce que Boïeldieu aimait le moins, c’était la musique contournée et manquant de mélodie.

Quoiqu’il ne soit peut-être pas convenable de me citer dans cette notice, je ne puis résister au désir de raconter la première leçon de composition qu’il me donna, parce qu’elle peint la manière de l’homme et sa perspicacité à découvrir une mauvaise tendance chez l’élève, et son habileté à en changer les mauvaises dispositions. Quand j’eus le bonheur d’être admis dans la classe de Boïeldieu, j’étais un peu comme tous les jeunes gens qui commencent à s’occuper de composition ; la forme était tout pour moi, et le fond fort peu de chose. J’avais une grande estime pour les modulations et les transitions baroques, et un souverain mépris pour la mélodie, dont je ne concevais même pas qu’on se servît. Un de mes amis m’avait une fois mené aux Bouffes, où l’on jouait le Barbier de Rossini, et je m’étais sauvé après le premier acte, furieux contre ce sot public qui accordait ses applaudissements à de telles misères.