Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/85

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Cette courte harangue, débitée moitié sérieusement, moitié en riant, produisit un effet analogue sur l’assemblée. Quelques-uns hésitaient, d’autres persistaient dans leurs projets de destruction. Mon jeune homme s’élance vers ceux qui tenaient la tête de l’instrument :

— Ouvrez-moi cela, dit-il d’un ton d’autorité.

On obéit, et sur-le-champ il leur joue la ritournelle de la Marseillaise, que tous les spectateurs reprennent en chœur. Après le chant vient la danse ; c’est dans l’ordre. Après la Marseillaise il fallut jouer la Carmagnole, puis Çà ira, puis, Madam’ Veto, etc., etc. Tout cela me saignait le cœur, Monsieur. La Carmagnole sur le clavecin de la reine !… Toute cette foule me faisait mal à voir. Quand on eut bien dansé, on ne songea plus à briser l’instrument ; on se retira gaiment, si toutefois on peut nommer cette joie féroce de la gaité ; et je me trouvais seul dans la chambre. Je m’approchai de mon cher clavecin qui venait d’être si miraculeusement sauvé ; je voulus le purifier, et je me mis à jouer ce beau chœur d’Iphigénie de Gluck : Que de grâces, que de majesté ! que la galanterie du public, quelques années auparavant, adressait toujours à la reine.

À peine avais-je commencé les premières mesures, que je me sens arraché du clavier. C’était mon jeune garde national.

— Êtes-vous fou ? me dit-il, avez-vous envie de vous faire massacrer ? Il n’en faudrait pas tant. Je me suis échappé à l’ovation de ces misérables, je voulais voir s’il n’y aurait pas moyen de sauver cet instrument.

— Vous êtes donc accordeur aussi ? lui dis-je.