Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE BAISER DE NARCISSE


maintenant leurs ailes ouvertes, sur de minuscules maisons, au toit fuselé et pointu. Cela venait aussi de bien loin. Milès, tandis qu’Elul gravait sur les tablettes une lettre au grand prêtre d’Attalée, s’émerveillait à voir de pareilles choses. Le vieux marchand de Jérusalem que, sur sa demande, Séir avait interrogé répondait qu’il fallait des mois et des mois de caravane, marchant sous le soleil et sous la lune, pour arriver jusqu’aux pays où ces objets se fabriquaient. Et Milès, ému, était demeuré rêveur…

Aussi quand l’enfant eut appris les préparatifs de voyage, ne cacha-t-il pas sa joie. Lidda, toujours belle et indifférente, recommanda des prières aux dieux et baisa le front du petit avec des lèvres distraites. Elul, le maître, qui la veille avait donné un festin aux chefs des marchands, hissa lui-même son fils sur le palanquin clos à cause de la chaleur et des insectes. Séir devait marcher près des bœufs, et on lui donna, pour le cas d’une attaque, un javelot robuste où le nom d’Elul se gravait sur le fer. Des femmes et des éphèbes de Byblos, qui connaissaient Milès pour sa beauté et qui le savaient dédié au dieu d’amour, lui jetèrent à son départ des corolles de jasmin. Mais le ravissant visage de Milès ne tressaillit point sous la caresse des fleurs. Il pensait à plus loin. Sans savoir la tristesse des paysages qu’on quitte, son cœur défaillait d’un vertige enivré et de la volupté des découvertes. Les poésies anciennes lui parlaient de Jason. Et les paroles du marchand juif chantaient à sa mémoire : ils iraient pendant des mois et des mois sous le soleil et sous la lune…

Par les vallées humides où tremble la fougère, où l’oiseau vocalise, par les collines brûlées, entre les cèdres noueux et les maigres pins, par les plateaux chauves à l’herbe rare, la caravane chemina. Les hommes psalmodiaient des airs mélancoliques, interrompus par le brusque appel, le rrrâh ! des conducteurs