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LE BAISER DE NARCISSE

hiératiques, que sa destinée de jadis avait été de créer de lui un prêtre. Parfois au clair humide de la lune, alors que, sur les immobiles terrasses blanches, ses compagnons en robes d’argent paraissaient vêtus de rosée, il ordonnait aux esclaves de chanter sur la harpe. — Et des airs que personne n’avait jamais entendus, commençaient à pleurer doucement. Les voix égrenaient leurs arpèges purs, givrés et liquides, tels que le murmure d’une fontaine. Et comme en face, toute nue et pailletée de nacre lunaire, la mer léchait les rochers, on aurait dit, devant le silence de la terre, que c’étaient les vagues qui chantaient !

Milès écoutait les premiers versets de ces étranges poèmes. Puis, brusque et lent à la fois, il se levait du tapis tiède où tout à l’heure gisait son corps souple. Il ramassait au hasard une écharpe et des fleurs, un triangle de bronze ou des grelots d’argent, et faisant sonner les anneaux de ses chevilles, choquant ses bracelets, il rythmait sur la mélopée des esclaves je ne sais quelle danse extasiée.

Sa tête, d’abord penchée vers le sol comme pour suivre du regard l’envol des pieds agiles, se relevait peu à peu à mesure que la danse s’accentuait. Ses prunelles chavirées, au bord des lourdes paupières, luisaient pourtant, comme derrière les feuilles noires luisent les citrons d’or. Presque aucun geste des bras n’accompagnait cette suite de vertiges. Seuls les brefs éclats des cymbales, le sonore sanglot du bronze ou les grelots fantasques soulignaient d’un vibrant appel la rencontre des mains. Et chaque fois que Milès ramenait ses regards vers la terre, chaque fois où, glissant, léger, il voyait ses jeunes compagnons admirer l’étonnante improvisation de sa grâce, le même adolescent l’hypnotisait, pareil au jour du triomphe, alors qu’il lui avait baisé les genoux en l’appelant Basileus !