Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
LE BAISER DE NARCISSE


plus grands et les fleurs plus belles à mesure qu’on approchait du val de Laodicée. L’enfant oubliait, avec la distance et le recul des années, la sorte d’abandon où l’avait laissé sa mère, et ce que la maison natale avait d’indifférent. Il arrivait précédé de mystérieuses légendes jusqu’au seuil de Lidda, de Lidda qui gardait son air de sœur aînée.

Oh !… ces histoires contées à voix basse… Accroupis devant des réchauds où dansaient de petites flammes bleues, ils en arrivaient tous les deux à distinguer dans le feu énigmatique les paysages de là-bas. Car Enacrios, orphelin, n’avait pas de patrie, ayant été enlevé très jeune pour devenir esclave ; son pays, c’était celui dont rêvait Milès.

« Ici qui nous connaît et qui nous aime ? Il faudra des années et des années… Alors, quand je retournerai à Byblos, je ne saurai plus les embrasser. Leurs visages ne se trouveront plus pareils et sembleront des paysages oubliés. Oh ! si tu voulais, comme nous fuirions d’ici ! »

Les premiers temps, ce mot de fuir épouvantait Enacrios. Esprit timide, frémissant de passion pour d’autres que pour lui-même, il n’avait pas, il n’aurait jamais la volonté suffisante. Il fallait qu’on la lui donnât. Milès comprit alors l’empire qu’il exerçait sur Enacrios. Chaque soir, à présent, il lui parlait du grand soir, du seul soir de leur vie où, s’échappant du cloître, ils s’en iraient retrouver leur mère…

Les étoiles vibraient dans la nuit, pareilles à des flèches froides plantées au cœur du ciel. Les adolescents levaient les yeux vers elles. Plus tard, c’est par ces lueurs qu’on saurait le chemin…