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LE BAISER DE NARCISSE

À l’ombre que font les grands peupliers tremblants,
Les bergers Lycidas et Mopsus jouent des lèvres…
Ta nostalgie, Éros, alanguit leur corps blanc
Et les fait frissonner sous l’archet des fièvres !

Chantons l’amour en rêve et pleurons-le tout bas…

Car un soir tendre où le soleil laissait sur terre
Traîner comme un manteau l’or de son geste en feu,
Mopsus a rencontré dans l’enceinte des dieux
Une ombre fugitive et peut-être étrangère
Dont les yeux ont souri quand sourirent ses yeux :
Et c’était Méroé, la danseuse aux prières…

Chantons l’amour en rêve et pleurons-le tout bas…

Un peu de vent gémit, qui venait des montagnes, et l’on n’entendit plus les plaintes de l’églogue ; cachée à demi par un buisson d’acacias, la mendiante écoutait et regardait le cortège, qui défilait maintenant entre les colonnades remplies de clameurs, de feu et de fumées. C’était Per Vigilium Veneris, la veille en l’honneur de Vénus. Les plus beaux d’entre les jeunes prêtres devaient apparaître devant l’image de l’Aphrodite, lui sourire et la mépriser, en souvenir du mal et du bien qu’elle fit au divin Adonis. Déjà précédés par les esclaves et les hiérodules, les adolescents scandaient leur tendre appel en levant leurs bras soyeux. Déjà les sacrificateurs, les licteurs et les mages, les uns couronnés de lierre comme Bacchus, les autres ceints de chêne comme César, les derniers auréolés d’un fil d’or comme Apollon, avaient pris place sur les gradins de pierre, en face de la nuit. La petite, épeurée et vibrante, s’impatientait, car elle savait. On lui