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LE BAISER DE NARCISSE


épouvantée, s’était enfuie. L’éphèbe, immatériel et triste, demeurait plus bel encore dans le recueillement nocturne ; seulement ses yeux profonds se fixaient sur l’Hypogète, et, sous la lune froide, sa tête à la chevelure hiératique évoquait la face des génies éternellement jeunes, qui, autour de Babylone, veillent près des tombeaux…

Le regard de l’adolescent était tel, qu’après quelques pas, Ictinus tombait à genoux, par ce geste avouant, sans une parole, son amour et son esclavage, ainsi que l’on dénoue aux pieds du maître une étoffe remplie de fleurs…

Puis, comme le silence les enveloppait de son aile tendre, le jeune homme se redressa, allant vers Milès dont il prit la main délicate pour la porter à son cœur.

« Me pardonneras-tu… me pardonneras-tu ? murmura-t-il enfin… Je ne savais point que tu serais dans les bras de cette femme. »

L’éphèbe ne répondait pas ; alors, Ictinus ajouta :

« Tu l’aimes donc ? »

Milès couvrit l’Hypogète d’un regard plus triste. Il voyait, apparemment, une douleur si grande, une angoisse si forte dans le visage de celui qui l’interrogeait ainsi, que, muet, il secoua la tête.

« Oh, tu dois l’aimer ! L’autre soir déjà j’avais des doutes… Pourquoi ne point me le dire… tu dois l’aimer !

— Je n’ai jamais aimé personne, dit enfin Milès. Briséis a connu ma patrie. Elle m’en parlait avec une voix douce, surtout au moment des baisers. Elle m’a sauvé de l’esclavage en Attalée. Voilà pourquoi je l’écoutais. Voilà pourquoi j’ai quitté Scopas. Puis elle m’a traité comme me traite l’Autre. Elle se sert de moi pour son désir. Mon âme est loin… Elle ne s’est rapprochée que