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MESSES NOIRES

— Parce que nous la considérons tous deux comme une blague. Et dès lors nous blasphémons. Oui, je vous vois sourire et vous avez bien l’air de penser : « Quel toupet ! » Sachez, mon brave homme, que ces pratiques valent la peine qu’on les considère. D’autres que nous s’y sont brûlés les doigts. Et que ce soit Enguerrand de Marigny avec ses templiers, Huss avec ses apostats, ou la Montespan avec ses régicides, nous avons des ancêtres et des condamnés. La messe noire ! Songez-y. Ce n’est pas seulement un fatras d’hérésies ; c’est un symbole. Elle représente la révolte contre le Dieu de la vie, l’adoration du Dieu de la mort. Elle célèbre un envoûtement funèbre et sauvage. Elle est l’exaltation du tombeau ! Sur le corps juvénile et souple qui représente la volupté passagère, le prêtre entrevoit la morsure des larves et les végétations moisies du cercueil. La messe noire n’a pas le seul but d’anathème. Elle ne subsiste pas en vue de l’unique sacrilège, de la vengeance contre le ciel, de la haine contre un rite ou bien un Dieu. Elle se présente à moi ainsi que la glorification ardente, farouche, passionnée du cadavre…

Or, sans avoir beaucoup vécu je suis las de vivre ; et de même que sur certaines lagunes vous rencontrez, flottant au gré des eaux, de mornes épaves, il me semble que mon âme à moi, certains soirs, se laisse emporter ainsi, à la dérive magnifique de la Mort…

C’est pourquoi l’exaltation de l’agonie m’attire et m’étourdit ; c’est pourquoi je ne voudrais pas m’initier à son culte sans en avoir la persuasion… Et puis, il nous faudrait un prêtre…

Un bref coup de sonnette interrompit le jeune homme. Au bout de quelques instants le domestique parut, l’œil