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MESSES NOIRES

c’était le même crépuscule… Ta voix chantait dans le silence, si caressante, si tendre, que bien souvent le poème s’achevait en baiser… Cela ne peut pas périr, cela ne peut pas disparaître… C’est toute ma vie, à moi ! Mes parents m’abandonnent… Le lycée ressemble à une prison… Que veux-tu que je devienne ?…

Oui, murmura André dans un sanglot, si tu te maries, si tu me quittes après m’avoir juré que tu m’aimerais toujours, je préfère partir loin, bien loin, où je n’aurai plus ni désirs, ni rêves, avant que ma jeunesse ne s’en aille… Le mal est là ! Mon âme est trop profonde pour en guérir !…

Lyllian, très ému, se souvenait maintenant de leur passion ensevelie. Il l’avait rencontré, un jour, sur sa route, dans je ne sais plus quel concert, dans je ne sais plus quelle danse. De suite, ils avaient sympathisé, et ce qui n’était qu’un plaisir était devenu de l’amitié ; l’amitié doucement s’était transformée en amour… Surpris de la vivace intelligence de son petit camarade, Lyllian s’était amusé à lui traduire et à lui transposer Byron, Browning, Rosetti, Tennyson. Et les dialogues des Dieux s’achevaient sur leurs lèvres. Oui : ils avaient passé des heures inoubliables…

— Écoute, mon enfant, mon ami, mon frère… dit enfin Renold avec pitié, essuie tes yeux, ne pleure plus, écoute. Il faut que tu m’oublies… que tu oublies les choses que nous avons faites ensemble… Car tout cela est faux, tout cela est vilain, tout cela est mal… Je me suis trompé autrefois, et c’est parce que je t’ai fait partager mon erreur que je suis coupable.

Abandonne cette illusion. Les jeunes gens qui, pareils à nous, croient par leur propre amour pouvoir remplacer