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Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/216

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LORD LYLLIAN

Renold. Là ! c’était là que la balle avait frappé : D’une blessure minuscule le sang filtrait, tiède, ininterrompu.

— Renold, mon Renold… pleurait André… qu’ai-je fait de toi… qu’ai-je fait de toi ?…

Et comme ses larmes coulaient sur le front pâli de Lyllian, le jeune Lord fit un léger mouvement. Ses lèvres blanches s’entr’ouvrirent… ses paupières se dessillèrent. Il regarda autour de lui… comme en un rêve…

— Tu vis ! Oh mon Dieu, merci ! balbutiait André, la voix éteinte… Renold, tu vivras… je peux mourir !…

— Mon enfant, mon frère, mon aimé… murmura alors Lyllian, lointainement. Elle est là… tout près, la tombe calme, la porte qui s’entr’ouvre vers des pays plus beaux… Oh je souffre ! Oui, mon petit exalté, continuait-il, enivré par sa douleur, tu avais raison… De t’abandonner, c’était trop facile… Nous allons faire ensemble un grand voyage…

Il s’arrêta, épuisé.

— Dire que je t’ai tué… fit André, chancelant.

— Toi ? Allons donc… tu veux rire ! siffla dans un spasme le malheureux Renold… C’est moi, l’assassin… c’est moi, tu te rappelles ?… Je t’ai menti, souillé… perverti… et tant d’autres, tant d’autres !… Oui, je les aperçois maintenant, à l’heure suprême — râlait-il — j’ai peur, André, j’ai peur… de toutes ces figures d’enfants qui me regardent… Les voici… ils me fixent de leurs grands yeux tristes… On dirait qu’ils murmurent des choses surhumaines… Ils me menacent !… André… j’ai peur !

Un flot de sang l’étouffait. Près de lui, André Lazeski haletait et tournait vers Lyllian des yeux suppliants…