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LORD LYLLIAN

peine de contredire certains bruits désavantageux qui couraient sur ses origines.

Il se montra infiniment aimable pour l’enfant, et ses instincts de Borgia furent satisfaits lorsqu’il surprit les regards de Skilde à lord Lyllian. Il affectait le vice au plus haut point, mais craignait par dessus tout de mourir en état de péché. Aussi allait-il très régulièrement à l’église et se donnait-il pour le protecteur de toutes les saintes âmes de la région.

On montra à Renold le théâtre édifié dans l’orangerie avec un goût exquis. On le présenta à la Duchesse, très hautaine et très vieux tableau, avec des dents jaunes comme ses perles de famille ; puis à ses futurs camarades de scène.

Il y avait là lady Cragson, idéalement belle et dont les malheurs de ménage étaient publics. Lord Cragson avait entretenu royalement Mabel Reid, l’étoile d’Earls Court. Lui qui, jusque-là, s’était montré pour toutes ses fredaines d’une infidélité exemplaire, s’était laissé prendre par l’écuyère, tant et si bien, que le patrimoine y avait passé. Depuis, la séparation obtenue à grand’peine, il vivait tout juste d’une pension alimentaire que lui servait sa femme, car lady Cragson, faible et résignée, l’aimait toujours. N’ayant jamais eu d’enfant elle gardait dans son cœur une tendresse inexprimée et toujours en éveil. Et ses beaux yeux soumis en gardaient un chagrin caché. Elle parlait, comme on sanglote, avec des larmes dans la voix. Éperdument éprise de poésie et de musique, elle se distrayait par le chant et par les vers… Pauvre lady Cragson, malheureuse en ménage !

Puis il y avait Mr et Mrs Well, de Kinton (Massachussets), deux jeunes Américains colossalement riches