Page:Adelsward-Fersen - Et le feu s’éteignit sur la mer.djvu/186

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Chaque pierre pouvait avoir été effleurée par sa robe. Le chemin qu’il suivait — même s’il n’y avait qu’un sentier indiqué là à peine — ce chemin et ce sentier, elle les avait longés autrefois. L’arbre qu’il voyait avait versé à Muriel la fraîcheur obscure de son ombre. Muriel encore avait dû se pencher sur cette citerne pour regarder les mirages du ciel reflétés par l’eau noire.

Elle avait caressé du bout de ses doigts distraits l’échine poussiéreuse du petit âne qui passait, l’œil malin sous la grande oreille résignée. Et les gens qui disaient bonjour au jeune homme avaient tous connu Muriel…

Dans la maison de la petite Marine, bien que le sculpteur eût fermé chaque pièce, sauf l’atelier et l’ancienne salle à manger dont il avait fait sa chambre, la présence irréelle de l’amour s’exagérait encore. Il essaya bien de travailler les premiers temps. Et comme il cultivait sa souffrance dans l’espoir de créer de la beauté avec cette douleur, et comme, d’autre part, il espérait qu’arrivée au plus haut degré d’intensité cette souffrance finirait par disparaître, Gérard continua de modeler le buste de sa femme. Mais, déformée par la fièvre, par le regret, par la jalousie, la vision de Muriel s’imprécisait. Tantôt il évoquait des formes sveltes et