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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

— Tais-toi ! interrompit Warda gaiement. Tu ne mérites pas que je m’occupe de toi !

— Je t’écoute, ma mère… Ne me fais pas languir !

— Le jour baisse déjà… Je serai brève. J’ai décidé Mabrouka à se séparer de toi… Elle habitera une petite maison délabrée à l’autre bout de la ville. Il faut à ton tour que tu décides ce soir même le cheik à l’envoyer là-bas… Tu lui diras que tu es jalouse… Enfin, arrange-toi. — N’oublie pas, ma chérie, ajouta-t-elle en se retirant, que je me ferais tuer pour un sourire de tes lèvres.

Restée seule, Nour-el-Eïn fut en proie à une agitation folle. Elle chantait, dansait, riait… Par moments, elle s’arrêtait devant une glace, s’y mirait longuement et, gamine, tirait la langue. Le départ de Mabrouka était pour elle l’aplanissement de tous les obstacles : l’étreinte d’Alyçum était proche. Il lui semblait que les arbres, les bêtes et les gens étaient dans l’attente de cet événement, indispensable au bonheur universel.

Il faisait nuit lorsque Cheik-el-Zaki entra. Il trouva sa jeune épouse sur le lit, le visage enfoui dans l’oreiller.

— Qu’y a-t-il, mon enfant ? Tu pleures ?

— Non, ne me touche pas… laisse-moi, aime ta Mabrouka et laisse-moi…

— Est-ce vraiment possible ? balbutia Cheik-el-Zaki au comble de l’étonnement.

— Oh ! j’ai bien compris que tu aimes cette femme plus que moi… Pourquoi ? Pourquoi ? ajouta-t-elle avec un tremblement de ses petits poings crispés.