Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/289

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elles venaient d’assister les avait définitivement édifiées.

Elles avaient chacune une démarche distincte, de même qu’elles avaient chacune un sentiment distinct du drame. Mirmah s’avançait avec les mouvements saccadés qui lui étaient habituels et que l’émotion, la rue, le plein jour accentuaient. Elle s’en tenait à son idée et marmottait inlassablement. Malgré les larmes qui coulaient le long de ses joues ridées, il était visible que son entêtement la distrayait de sa douleur. Amina, le dos rond, comme une vieille, un paquet sous le bras, trébuchait à chaque ornière et, de sa main libre, s’essuyait les yeux avec le pan de sa robe. À son côté, s’avançait Nour-el-Eïn. La fatalité l’avait marquée pour la mort. Cette idée ancrée dans son esprit s’était substituée à sa volonté et la dirigeait. Elle allait au sacrifice, la tête penchée, avec un complet abandon d’elle-même. Quant à Yasmine, elle marchait seule, en avant. Grande et svelte, elle se tenait droite, bien moulée dans sa mellaïa. Elle avait posé son paquet sur sa tête. Parfois, mais rarement, elle y portait la main pour en rétablir l’équilibre. Après une nuit de réflexions, elle avait choisi sa voie et sa liberté d’allures témoignait qu’elle s’était soustraite au drame.

Goha avait ralenti le pas. Il aperçut Yasmine sur sa droite. Les bras de cette femme étaient d’une beauté si troublante qu’il éprouva le besoin de les caresser.

— Si ton paquet te fatigue, mets-le sur mon âne, dit-il, les yeux brillants.