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nait. Bientôt apparut le cercueil que surmontaient les tresses noires et parfumées de la défunte. Cheik-el-Zaki en mesura la longueur d’un coup ̃d’œil. Les pleureuses s’avancèrent en agitant leurs voiles sombres, le visage souillé de fards éclatants. « Quatorze… » compta Cheik-el-Zaki et il répondit avec courtoisie aux saluts des assistants. Il s’inclina devant Abd-el-Rahman, prononça la formule d’usage et, remarquant une verrue sur le nez du vieillard, songea : « Rond… » À ses côtés, des cultivateurs s’entretenaient des récoltes de Menoufieh. Il leur donna machinalement des chiffres.

Après la cérémonie, il se hâta de rentrer chez lui. Il passa la nuit assis à la fenêtre de sa chambre et s’endormit quelques heures avant l’aube. À son réveil, fatigué, d’humeur sombre, il se rendit dans sa bibliothèque.

Pour la première fois depuis le drame, il essaya de réfléchir sur lui-même.

— Que de temps perdu ! dit-il à voix haute.

Son union avec Nour-el-Eïn avait à peine duré treize mois, mais à cette heure de réaction, ce n’était pas seulement cette courte période qu’il jugeait, c’était une longue série d’années partant de très loin, de son enfance,

— Maintenant, il faut réparer, dit-il encore.

Ces mots, qui, en réalité, ne répondaient à rien flattaient son humeur et le calmaient. Il arpentait la pièce, fixant les objets de ses yeux vifs, enfouis sous la broussaille des sourcils noirs et dans son esprit, s’entrechoquaient des pensées fragmen-