Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/307

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cartes, aux osselets, à manger des lupins, à boire des sirops et à se conter des histoires licencieuses. Une fois par semaine, El-Zaki rendait visite à Mabrouka. Le vieil eunuque qui, le reste du temps, ne faisait que dormir dans la cour venait annoncer son maître. Mabrouka, parée pour le recevoir, s’avançait à sa rencontre et alors, mais alors seulement, elle se distinguait de ses servantes.

Résignée à sa retraite, elle était oubliée de tout le monde. Deux jours après la mort de Nour-el-Eïn, Warda, la dallala, lui en apporta la nouvelle. « Eh ! oui, dit-elle, j’ai toujours prévu que la chance tournerait de ton côté. Ton étoile est bonne parce que tu es loyale. » Comme Mabrouka plaignait Nour-el-Eïn, la dallala s’indigna : « Tu la plains ? Tous tes malheurs sont venus d’elle. Elle est morte à présent, qu’Allah lui pardonne, mais, entre nous, c’était une vicieuse qui devait mal finir. » La dallala, éminemment pratique, avait conclu : « Ne perdons pas de temps. Ton mari le pauvre homme est seul, ta place est auprès de lui… Habille-toi, emmène tes esclaves, ferme cette maison de malheur et retourne chez toi. » Deux heures après, Mabrouka était entrée dans la bibliothèque, convaincue par la dallala qu’elle était indispensable à Cheik-el-Zaki.

— Je ne suis pas ingrate, répéta-t-elle.

Il haussa les épaules. Afin d’abréger un entretien qui l’importunait, il résolut d’écouter sa femme sans l’interrompre.

— Ô mon maître ! Ô mon enfant ! dit-elle, Dieu m’est témoin que je ne suis pas ingrate. Je vivais