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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

qui fait le quartier. Si tu avais été un garçon sérieux tu ne t’ennuierais pas comme tu t’ennuies.

Goha la regardait de ses grands yeux devinant déjà la phrase obsédante, la phrase de toujours :

— Allons, mon maître, il faut que je nettoie. Va t’asseoir dans une autre chambre.

Aucune supplication, aucune menace, aucun argument ne lui permit d’échapper à la tyrannie de la négresse. S’il feignait de ne pas l’entendre, elle s’approchait de lui, le secouait et reprenait plus fort.

— Mon maître, il faut que je nettoie.

Un jour qu’il était particulièrement bien assis, il déclara, la main ouverte sur la poitrine :

— Hawa, cette chambre a été balayée.

Sans même le démentir, la négresse, sa robe relevée sur les hanches, tira le tapis et répandit sur les dalles le contenu de sa bassine.

Cet échec décida Goha à franchir le pas de sa demeure et à s’asseoir au bord de la chaussée. Il trouva dans le spectacle de la rue une plaisante diversion. Des hommes, des ânes, des chameaux passaient qui semblaient exprimer dans leur démarche lente une profonde indifférence à parvenir au but.

Mais il y avait aussi les marchands. Ils surgissaient avec des farces violentes et des rires grossiers aux minutes précises où Goha se sentait le plus satisfait de la vie. L’existence était impossible pour lui sur le seuil de la maison paternelle. Il résolut de s’aventurer très loin.

Par une chaude journée de Chaaban, il se glis-