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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Parfois un chien rongé d’ulcères, la langue pendante, avide de fraîcheur, rejetait de ses pattes les chiffons, les légumes pourris, les écorces de melons et de pastèques, sèches comme des parchemins et, fébrilement, enfonçait son museau dans les couches d’ordures encore humides. Goha traversait des bazars animés par les cris des enchères, débouchait dans des carrefours qu’égayait le son grêle d’une fontaine auprès de laquelle des buffles sommeillaient. Sur les marches d’une mosquée, deux nègres se battaient. Une triple rangée de spectateurs discutait l’opportunité du combat. Il évita le groupe et poursuivit sa route. Les clameurs des hommes bruissaient à ses oreilles, les vapeurs malsaines de la ville pesaient sur sa poitrine. Il lui fallait respirer librement, s’isoler ou plutôt se perdre dans un monde en harmonie avec lui-même. Mais dépourvu de l’intelligence de son instinct, il n’était tout entier qu’un instinct cherchant à se satisfaire. Esclave d’une force inconsciente, il allait sans direction, avec un aveugle et paisible entêtement. Il s’apprêtait à contourner un mur, d’une blancheur éclatante, lorsqu’un janissaire, la ceinture ornée de yatagans damasquinés, lui barra le chemin et lui asséna un coup de bâton sur l’épaule.

— On ne passe pas, c’est le palais du Mamelouk.

En revenant sur ses pas, Goha butta contre un second mur derrière lequel s’abritait un autre de ces puissants personnages.

— Où t’égares-tu, mulet ? Je vais te briser les os !

« Ils veulent tous me tuer, songea Goha, et