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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/11

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doute s’empare de l’âme, tout chavire, et l’idée même de Dieu semble faire naufrage avec le christianisme. Il y a longtemps que les ascètes et les mystiques catholiques ont reconnu le danger qu’il peut y avoir à donner trop d’importance à la vie émotive (cf. Encycl. Pascendi. § Redeamus enim vero) : aussi tous nos manuels de direction ont-ils soin d’imposer aux âmes qui sont menées par le sentiment, de s’attacher plus à la connaissance de foi qu’à leurs expériences ou impressions subjectives. Sainte Thérèse, comme Bossuet, veut que le mystique ne perde pas de vue les mystères et spécialement les mystères de la vie du Sauveur ; et il n’y a pas de signe plus certain d’illusion dans les voies mystiques, que le mépris, la négligence ou la diminution des vertus essentielles de foi, d’espérance, de charité et de religion. Ainsi s’explique la confusion, au premier abord si étrange pour nous, de l’agnosticisme et de l’incrédulité : elle est une conséquence du fidéisme et du rôle exagéré donné dans le système protestant à l’expérience religieuse : inspiration privée ou sentiment. — À ce facteur, il faut en ajouter un autre. Longtemps l’apologétique protestante consista surtout à acculer à l’athéisme ceux qui rejetaient le christianisme comme elle l’entendait. Au dix-septième siècle, Samuel Parker écrit tout un chapitre pour prouver que tous les scolastiques sont des athées purement et simplement. (Disputat.de Deo et Proyidentia divina, Londres, 1678. disp. 2, cap. 2.) L’athéisme étant contre nature, l’argumentation paraissait efficace. Le déisme anglais fut une première échappatoire ; il semble bien que souvent l’attitude agnostique n’est, à son tour, qu’une manière de ne pas tomber dans l’athéisme déclaré. Gladstone, dans un de ses grands discours, prévoyait cette issue, lorsqu’il prédisait que la doctrine agnostique de Mansel ferait plus de mal à la religion que l’athéisme.

Mis en présence de cet état d’âme, l’apologiste se dira que tout n’est pas perdu. Puisqu’on n’avoue pas l’athéisme, mais simplement l’agnosticisme, c’est donc que l’idée de Dieu git encore aux profondeurs de la conscience ; elle n’est qu’obnubilée par une synthèse mentale purement subjective ; et la voix de l’apologiste trouvera facilement un écho. Voilà pour la pratique. — Quant à la doctrine, nous tenons pour un dogme que « la foi divine est distincte de la science de Dieu et des choses morales » (Conc. du Vatican, Denzinger, éd. 10, 1811 (1658)). Nous croyons aussi que, si l’homme ne peut pas adhérer aux vérités révélées sans la grâce de la foi. « il peut, par la lumière de la raison, connaître avec certitude le Dieu unique et vrai, notre Créateur et notre Maître » (ibid., 1789 (1638), 1795(1643), 1806 (1653)). Le fait de n’avoir jamais eu ou d’avoir perdu la foi ne se confond donc pas pour nous avec le fait d’ignorer Dieu. Dans sa querelle contre le fidéisme des traditionalistes français, c’est le rationaliste Jules Simon qui avait raison : l’incrédule peut croire en Dieu et écrire une théodicée (Religion naturelle, 1807, 4e édit., p. IX sqq. Cf. Denz., 1622 (1488), 1626(1492), 1650 sq. (1506)). Comme nous distinguons la foi proprement dite (adhésion intellectuelle et libre au contenu de la révélation sur l’autorité du témoignage divin) de la simple croyance en Dieu, nous ne confondons pas les raisons de croire en Dieu et les raisons de croire à la révélation. Nous désignons ordinairement les premières sous le nom de « preuves de l’existence de Dieu » ; et nous réservons aux secondes le nom « de motifs de crédibilité ». C’est un abus de mêler toutes ces « raisons de croire » : car ces deux séries de raisons sont bien distinctes. En effet, si la seconde suppose logiquement la première, la première vaut par elle-même ; d’où il suit que, d’après la doctrine catholique, le rejet des motifs de crédibilité, et, par suite, de la foi chrétienne, n’emporte nécessairement ni le rejet des raisons de croire en Dieu, ni l’agnosticisme en matière religieuse. L’apologiste fera bien d’inculquer cette doctrine trop méconnue. Le bruit fait par la presse autour de l’infaillibilité du Pape a tellement « absorbé l’attention du public, qu’on a peu remarqué les décrets que le concile du Vatican a rendus sur les rapports de la raison et la foi ». La remarque est d’un protestant conservateur, E. Naville, Philosophies négatives, Paris, 1900, p. 63. Certains appels bruyants faits à quelques formules fidéistes de Pascal et à Ventura, certaines adhésions au modernisme n’auraient peut-être pas eu lieu, si l’on avait mieux connu la position catholique. Il est juste toutefois d’ajouter que tous nos universitaires n’ignorent pas leur catéchisme. Ollé-Laprune a dit fort exactement : « L’Église condamne tout fidéisme. Elle, qui sans la foi ne serait pas, elle commence par rejeter, comme contraire à la pure essence de la foi, une doctrine qui réduirait tout à la foi. L’ordre de la foi n’est assuré, que si l’ordre de la raison est maintenu. » (Ce qu’on va chercher à Rome, Paris, 1895. p. 36. Cf. l’Encyclique Pascendi, § Jam ut a philosopho.)

IV. — L’agnosticisme, bien que très souvent athée, n’est pas l’athéisme.

On lisait au dix-huitième siècle dans Le bon sens du curé Meslier : « Le raisonnement prouve que la théologie n’est qu’un tissu de chimères » (ch. 182). Fréquemment le pavillon agnostique ne couvre pas d’autre marchandise que ce vieux préjugé. Cet emploi du terme a été popularisé dans le monde anglo-saxon par les écrits de Leslie Stephen, surtout par An Agnostic’s Apology, 1876. Stephen condensait l’agnosticisme en deux propositions : 1o l’esprit humain a des limites ; 2o la théologie est hors de ces limites. Cette définition avait le mérite de mettre en relief que l’objet principal de la controverse agnostique est d’ordre religieux et non d’ordre purement métaphysique. Mais elle avait deux graves défauts : 1o elle était philosophiquement imprécise, la seconde proposition n’étant qu’arbitrairement liée à la première ; 2o elle identifiait la doctrine ou la méthode agnostique, soit avec cette forme vulgaire et voltairienne de l’athéisme pratique ou sceptique, qui consiste à répéter après « Meslier » que nous n’avons guère d’idée nette de Dieu, soit avec cette forme moderne d’athéisme dogmatique, qui, de la prétendue impossibilité d’une représentation intellectuelle de Dieu, conclut à la négation expresse de la divinité. Bref, ce que Leslie Stephen présentait au public sous le nom d’agnosticisme, n’était que l’espèce d’athéisme qui lui était personnelle.

Il n’est pas douteux que, dans la pensée de beaucoup d’agnostiques, cette épithète qu’ils se donnent, ait un sens athée. Cf. Hume, Essais ; d’Holbach, Système de la nature : Robinet, Philos. de la nature : voir Roselli, Sum. philos., éd. 3, Bononiae, 1858, t. 2, n. 1170 et 1267 ; Wirceburgenses, de relig., diss. 5, sect. 2, obj. I et 2. La raison en est l’affinité qui existe entre l’attitude agnoslique et l’athéisme. « À la formule : Au delà des données de notre expérience, nous ne savons rien, succède cette autre formule dont le contenu est très différent : Au delà des objets de notre expérience, il n’existe rien. » Cf. Naville, Philosophies négatives, p. 85. La nature répugne à cette conclusion. Mais — a) on discute encore pour savoir si Kant était déiste ou théiste : il semble bien qu’il n’était pas déiste, puisqu’il ne concède à l’homme aucune connaissance objective des attributs intrinsèques de Dieu ; il n’était pas davantage théiste, puisque, tout