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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/14

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AGNOSTICISME


Dieu, cVaprès rEcriture, est invisible ; et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils. Dieu est simple ; en lui toutes les perfections sont l’unité même. Donc, si nous avions l’intuition de son essence, comme nous avons l’intuition des objets qui nous environnent, nous le connaîtrions en entier, et la connaissance que nous en aurions, sans être compréhensive, serait adéquate à son objet, incompossible avec le doute et l’erreur. Or tout cela n’est pas donné dans notre expérience. Donc tous les systèmes intuitionistes sont inadmissibles(Malebranche, Berkeley, Schelling, Cousin et lesontologistes). parce que contraires au dogme de l’invisibilité de Dieu par les fonctions naturelles de notre esprit, et parce que contraires à l’expérience. Par ailleurs, le fait de la possibilité de rathéisme a toujours empêché l’Ecole de se rallier à l’innéisme cartésien. (Cf. Poule, Lehrhuch der Dogmatik, Paderborn, 1902, t. I, p. 14.)<^" ne nie pas que le cartésianisme n’ait eu d’illustres adhérents parmi nos écrivains religieux ; mais l'éclal littéraire de noms fameux n’a pas hypnotisé les théologiens au point de leur faire négliger ce petit fait du sauvage, athée par ignorance. On ne donne cependant en théologie aucune « note » à l’innéisme cartésien pris en luimême : ce qui signifle qu’on le considère comme faux, parce que contraire à l’expérience, sans le tenir pour inconciliable avec le dogme. Si cependant l’innéisme cartésien est proposé de manière à exclure toute possibilité d’une véritable preuve de l’existence de Dieu, on s’accorde à le déclarer « téméraire » , parce que les preuves de l’existence de Dieu ont un fondement dans l’Ecriture et dans la tradition. (Cf. Pf.scu, Prælect. theol, t. II, n. 27.) Pom-ces raisons, l’ensemble des théologiens catholiques n’admet pas que l’homme naisse avec la représentation actuelle de Dieu. Il est sur que les Pères de l’Eglise n’ont pas connu cette sorte d’innéisme ; et il est bien probable que Descartes, qui dcA-ait beaucoup àMersenne(ÇHæs//o72f » sce/eherrimae in Genesim, in hoc Aolumine atliei et deistae impugnantur, Paris, 1628, col. 2' ; 8), pensait sur ce point là comme lui. Quoi qu’il en soit — et c’est la tlièse qui nous intéresse directement ici — la théologie catholique enseigne, avec les Pères, que l’homme acquiert spontanément, naturellement, l’idée du vrai Dieu, de telle sorte que, à quelques exceptions près, in quibus natura nimiuin depravata est (S. Augustix, in Joan., tr. 106, n. 4. Migne, t. XXXY, 1910), tout liomme parvient à connaître l’existence de Dieii, de façon à pouvoir commencer sa Aie morale et religieuse. Ce point n’est pas de foi définie, puiscjue le Concile du Vatican, sans s’occuper de la question de fait, n’a décidé c]ue la question de droit : l’homme a la puissance physique de parvenir par l’usage de sa raison naturelle à la connaissance certaine de Dieu. Mais c’est une doctrine « universellement admise et certaine » .

Cette doctrine explique pourqrioi, même parmi les plus renforcés des agnostiques, on n’en trouve aucun qui ne comprenne, au moins confusément, de quel objet il est question quand on parle de Dieu. Mis en présence de l’idée de Dieu, soit par le langage, soit par le discours intérieur, soit par la conscience morale, l’agnostique réagit, semble-t-il, à peu près comme il fait à l’idée de substance, à celle de la réalité du monde extérieur. On a beau, avec Hume et Kant, nu’ttre en fait que le seul être qu’atteigne l’intelligence humaine est celui que nous présentent nos sens, le phénomène ; avec l'école empirique on a beau soutenir cjue nos idées générales ne sont que des images moyennes ou génériques (Taine, Bain, Sully, Bergson), prétendre faire la genèse de la pensée et montrer en détail comment nos concepts et les principes de la raison se sont peu à peu

formés par habitude et jiar association (Hume, Mill), transmis par hérédité, dévcloppés par CAolution (Spencer, Loisy) ; on a beau soutenir que l’espace et le temps ne sont pas des propriétés des choses, mais des formes de l’intuition, que les principes et les concepts de la raison sont des formes de la pensée humaine ; on a beau abuser de « notre pouvoir de réfléchir à l’infini » pour essayer, avec le pragmatisme anglo-américain ou avec M. Bergson, de dépas ser tous ces systèmes en les condjinant, — le problème du naiver Bealismiis se pose et reste intact ; et, nous l’avons au, si quelques-uns, logiciens jusqu'à l’absurde, le résolvent par la négatÎAe, et tombent dans le phénoniénisme, ou dans une des Aariétés du monisme, statique ou dynamique, beaucoup se contentent de dire que la substance, la cause, le noumène, l’absolu nous demeurent inconnus. Cependant l'éA’idence des faits, la force des principes de raison suffisante, de causalité et de finalité, l’emportent une fois de plus sur l’abus de la réflexion, et l’absolu s’introduit en sourdine dans les synthèses de nos relatÎAistes. Ils en admettent l’existence ; mais pour ne pas détruire d’un mot tout l'édifice logicjue pénililement construit, pour rester fidèles aux hypothèses arbitraires qui leiu" ont servi de point de départ, ils continuent à dire que cet absolu réel, pensé et admis par eux, reste inconnaissable, que nous ne pouvons aA-oir aucune représentation intellectuelle de la réalité sous-jacente aux choses etc. L’absolu est objet de croyance, non de science.

Il en arrÎAe de même, mutaUs mutandis, pour l’idée de Dieu. Antérieure à toutes les « torsions de l’esprit » dont nous Acnons de parler, elle surAÎt au scepticisme que ces tours d’acrobatie intellectuelle produisent chez ceux où la fermeté du bon sens et la netteté de la raison ne neutralisent pas leurs effets. A une heure donnée, le prol>lènie de Dieu se pose ou réapparaît. A laide de ce cjue nous avons nommé l’idée naturelle de Dieu, la question est comprise et trouA-e de l'écho dans les plus profonds replis de la nature raisonnable de l’homme. (Cf. Scheeben, La Dogmatique, Paris, itiSo, t. ii, n. 29, p. 21.) A cette idée, une réalité correspond-elle ? Comme pour la notion de substance et de cause, comme pour le fond intime des apparences sensibles, cjuelques-uns répondent par la négative, et ont le malheur de tomber par leur faute dans l’athéisme : nec Jiis débet ignosci, Sap., XIII, 8 ; iia ut sint inexcusabiles, Rom., i, 20. D’autres s’abstiennent de nier : ils se souviennent à point de la fornnile initiale des doctrines relativistes, ou simplement de la définition positiviste de la science. Mais ici, comme devant le problème de la substance et de la réalité du monde extérieur, l’attitude finale est variée. Les uns s’en vont répétant, avec une modestie qui ne leur est pas ordinaire, que la question est au-dessus des forces de leur esprit (Huxley, Littré). C’est l’agnosticisme pur, celui dont parle le début de l’Encyclique Pascendi. Les autres admettent l’existence de l'être que le nom de Dieu désigne, mais de grâce, pas d’idées représentatives, pas d’aflirmations sur la nature de Dieu en luimême ! Notre définition de la science, disent-ils, les limites que nous avons assignées à la connaissance humaine, nous interdisent de rien concéder sur ce point. Telle est la position de ce qu’on nomme Vagnosticisme dogmatique (Maimonide, Locke, Kant, Hamilton, Manscl, Spencer).

2'> La position de l’agnosticisme dogmatique est paradoxale, puisqu’il semble nier et affirmer en même temps la connaissance du même objet. La doctrine classique des théologiens sur la connaissance spontanée de Dieu permet de comprendre que la contradiction n’est qu’apparente, et pourquoi on ne