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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/163

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ASCETISME


trême bonté de son âme, la continuelle présence de Dieu dans laquelle il vit, comme dans son divin élément, animent son livre d’une chaude tendresse ; mais vraiment il ne faut pas savoir lire pour oser, à propos de son œuvre, parler de « dévotion aisée », ou bien de paralysie de la volonté, d’amour sentimental et de paresseux quiétisme. A défaut d’une étude de V/ntroduction à la vie dévote, nécessaire pourtant si l’on veut juger en connaissance de cause, un simple coup d œil sur la table des matières suffît pour connaître suffisamment la pensée du saint docteur : certains titres de chapitres sont suggestifs : Qu’il faut commencer parla purgation de l’âme ; De la première purgation qui est celle des péchés mortels ; Qu’il faut se purger des affections que l’on a aux péchés véniels ; Qu’il faut se purger de l’affection aux choses inutiles et dangeureuses ; Qu’il faut se purger des mauvaises inclinations. C’est, presque dans les mêmes termes, la doctrine du fameux colloque qui suit le troisième exercice de la première semaine de saint Ignace ; et on serait mal venu de s’en étonner : c’est la doctrine élémentaire de l’ascétisme chrétien ; c’est la voie purgative, la voie de ceux qui commencent, et qui pour réussir veulent commencer par le commencement et non par la fin. Le doux saint François de Sales a écrit un chapitre -.Les exercices de la mortification extérieure ; il conseille la discipline et la haire, même aux gens mariés, rarement toutefois pour ces derniers, « es jours plus signalés de la pénitence », et selon l’avis d’un discret confesseur(^^A"îa’;-es de saint Fia ?içois de Sales, éd. d’Annecy, t. III, p. 220) ; mais c’est l’àme surtout qu’il veut qu’on mortitie, parla patience, l’humilité, la douceur, l’obéissance, la chasteté, la pauvreté ; il veut même qu’elle en arrive, afin de garder une imperturbable paix, à se désintéresser des « douceurs » et des

« tendretés » spirituelles qui, pour être divines, doi-A’ent

nous rendre « plus humbles, patients, charitables et compatissants à l’endroit du prochain, plus fervens à mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations… » {Œuvres…, t. III, p. 323.) D’ailleurs toutes les vertus pour être vraiment surnaturelles doivent être pénétrées (Je « l’amour de Dieu qui les contient toutes » (Œuvres…, t. VI, p. g’i) ; et on se rappelle que le saint exigeait de ses religieuses de la Visitation qu’elles s’occupassent avant tout à « vaquer à la perfection du divin amour » (Constitutions… De la fin pour laquelle cette Congrégation a été instituée). Cette perfection du divin amour consiste pratiquement à a s’unir non seulement à la volonté de Dieu mais à ses désirs, voire même à ses intentions. » (Œuvres…, t. VI, p. 82.)

Dans Vlmitation, comme dans les Exercices spirituels, comme dans V Introduction à la vie dévote, c’est donc bien la même spiritualité fondamentale, le même ascétisme ; l’àme doit se sépai’er descréatures etd’ellemême, pour s’unir à Dieu dans et par la charité effective surtout, mais aussi affective. Les principes sont les mêmes, il y a des nuances dans leur application, ces nuances s’expliquent par le caractère ou le but des auteurs, et parleur époque : ces nuances existent surtout entre saint Ignace et saint François de Sales. Pour saint Ignace, l’ascétisme est un combat, un combat contre les passions déréglées, une lutte, un duel journalier entre le vieil homme et le nouveau, une attaque de front, qui a de grands avantages : elle donne un merveilleux ressort à la volonté ; mais qui peut avoir des inconvénients : la perspective de cette longue guerre à mort a de quoi elfrayer et décourager certaines bonnes volontés hésitantes. C’est une perfection intime, forte, généreuse, que demande aussi saint François de Sales : « la vraie vertu est toujours ferme et constante » (Œuvres…, t. III, p. 292, t. VI, p. 13, 14)et prescpie aussi souventque de la’( suavité ><,

de la dévotion, il parle de sa « force ». Tout comme saint Ignace, il déclare la guerre à l’amour-propre, mais il mène cette guerre d’une autre façon. Il recommande surtout de mépriser les attaques de l’ennemi ; au lieu de renverser l’obstacle, qu’on le tourne humblement et simplement. Dans les luttes intérieures, il faut savoir « divertir notre esprit de son trouljle et de sa peine », se resserrer auprès de Notre-Seigneur et lui parler d’autre chose » (Œuvres…, t. VI, p. 84, 1^4) ; dans un mouvement d’aversion contre le prochain :

« l’unique remède à ce mal, comme à toute autre

sorte de tentation, c’est une simple diversion, je veux dire n’y point penser > (p. 290, cf. t. III, p. 304309). Je sais bien que l’on pourrait m’opposer, et précisément à la page 3 1 o de V Introduction à la vie dévote, des textes où il recommande énergiquement la tactique de saint Ignace : « Faites force actions de la vertu contraire, et si les occasions ne se présentent, allez au-devant d’elles pour les rencontrer « ; l’impression pourtant qui se dégage de l’œuvre salésienne est moins belliqueuse, et n’a pas l’austérité militante de Vagendo contra suaju propriam sensualitatem, et contra suum amorem carnalem et mundanum (saint Ignace, De Regno Christi) ; toutefois je n’oserai pas dire que la tactique de saint François de Sales exige moins d’énergie. Voici un texte qui l’exprime bien :

« Méprisez donc ces menues attaques et ne daignez

pas seulement penser à ce qu’elles veulent dire, mais laissez-les bourdonner autour de vos oreilles tant qu’elles voudront, et courir çà et là autour de vous, comme l’on fait des mouches ; et quand elles viendront vous piquer et que vous les verrez aucunement s’arrêter en A’otre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les ôter, non point combattant contre elles ni leur répondant, mais faisant des actions contraires, quelles qu’elles soient, et spécialement de l’amour de Dieu. Car si vous me croyez, vous ne vous opiniàtrerez pas à vouloir opposer la vertu contraire à la tentation que aous sentez, parce que ce serait quasivouloir disputer avec elle ; mais après avoir fait une action de cette vertu directement contraire, si vous avez eu le loisir de i-econnaitre la qualité de la tentation, vous ferez un simple retour de votre cœur du côté de Jésus-Christ crucifié, et par une action d’amour en son endroit, vous lui baiserez les pieds sacrés. » (Œuvres…, t. III, p. 308.)

La spiritualité de saint François de Sales et celle de saint Ignace sont identiques par leur fond ; la forme seule varie, et cette diversité s’explique par le caractère, l’éducation et le but des auteurs. D’ailleurs ni l’un ni l’autre n’est exclusif ; nous venons de le voir dans les paroles mêmes de l’Introduction à la vie dévote pour saint François de Sales ; il suffira, quant à saint Ignace, de rappeler sa célèbre sentence :

« C’est une chose pleine de danger de vouloir pousser

tous les hommes à marcher vers la perfection par le même sentier. »

Pratiquement, au lieu de choisir lui-même son sentier, l’ascète chrétien denumde à un prudent directeur de le lui désigner et de l’y conduire, ou plutôt il recherche, sous sa direction, la voie que lui a marquée le Saint-Esprit.

Objections contre l’ascétisme chrétien. — Elles sont de tous les temps et de tous les pays, mais on les rencontre particulièrement à notre époque. Les partisans du « surhomme », les docteurs du culte exagéré du moi, du libre jeu et de l’entier épanouissement des passions, tous les philosophes et les poètes du siècle dernier, dont les doctrines continuent la poussée païenne de la Renaissance : Heine, Nietzsclic, Leconte de Lisle, ont déclaré une guerre à mort à l’ascétisme. Sous leurs attaques, il semble que les