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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/165

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ASCETISME

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pas le dogme de la Rédemption, elle n’aurait jamais donné d’indulgences, elle n’affirmerait pas l’eflicacité de la prière (Cf. Raison d’être de l’ascétisme, 4) 3) Mais on insiste : les mortifications corporelles sont contraires à la nature, les jeûnes et les macérations sont des rites inutiles, sans ànie, qui dispensent de toute initiative, ils sont l’expression de la haine de la vie : ( L’idéal (pour l’ascète chrétien) reste l’anticipation de la mort par la violence faite à la nature qui s’identifie avec le péché. > (G. Séailles, I Les affirmations de la conscience moderne, 2<" édit., 1 p. 91.) On s’en prend à Dieu, tyran Ijizarre, Moloch cruel, et l’on affirme que la viande est tout aussi bonne le vendredi que les autres jours ; le jeune du carême ne trouve pas grâce, éAidcmment.

Il faut d’abord reconnaître qu’à lire la vie de plusieurs de nos saints, celle du l)icnheureux Henri i Suso en particulier, on se sent porté à taxer leurs mor-L tifications d’exagération. Quelques-unes ne peuvent [ se justifier que par une inspiration toute spéciale de l’Esprit-Saint. Pour les conseiller, il faudrait être en j face dune vocation bien caractérisée et longuement’éprouvée. LEglise n’approuve pas toujours, surtout elle est bien éloignée de conseiller tout ce que nous lisons dans la vie des ascètes chrétiens. Cette réserve taile, on nous permettra de faire observer qu’une mortification corporelle modérée non seulement trouve grâce près des meilleurs psychologues modernes, mais encore est fortement recommandée. Les travaux de Wundt, de William James, de Taixe, de UiiîOT, — la remarque est de M. Foxsegrive {Le catholicisme et la vie de l’esprit, 189g, p. 181) — démontrent qu’en pédagogie comme en morale, « on ne peut con)pter sur le corps qu’en comptant d’abord avec lui ». Tout le monde répète que pour bien vouloir, pour faire l’éducation de la volonté, il faut savoir dompter son inqiressionnabilité, et par conséquent ses sensations. Les médecins s’en mêlent, et par leurs prescriptions d’hygiène, par les actes matériels de volonté qu’ils exigent, ce sont de véritables mortifications corporelles qu’ils imposent, des efforts pliysiques continuels qui doivent aider à triompher lie l’apatiiie et de la nonchalance. Ils sont donc mal inspirés ceux qui nous répètent que les mortifications i r)rporelles sont contraires à la nature, c’est précisément la nature qui les exige (Cf. Guibert. La formation de la volonté, p. 29, sqq. Roure, Doctrines et Problèmes, p. 2^3, sqq.).

Klle les exige pom- la perfection banale d’une vie ordinaire, pour le simple équilibre de nos facultés liumaines, elle les exige pour le parfait développement de toute notre vie. La souffrance morale et physique est la grande ouvrière de notre perfection : (est du sang versé, qu’il vienne des veines ou du lur, que germe la grandeur, conmie la fleur d’un il fécond. « Toute l’histoire nous enseigne qu’il laut du sang pour hàler et cimenter la fusion des p< uples. Les sciences de la nature ont ratifié de nos jours la loi mystérieuse révélée à Joseph de Maistre par l’intuition de son génie et par la méditation des’logmes primordiaux, il voyait le monde se rachetant de ses déchéances héréditaires par le sacrifice. » (De ogvk, Itemarqites sur l’e.rpositton du centenaire !’ « 93)

Quoi d’étonnant dès lors si la douleur — la mortification corporelle est une forme de douleur — cpii perfectionne la vie individuelle et sociale perfectionne aussi la vie surnaturelle : les œuvres divines sont l>elles, d’une harmonieuse continuité. Voir dans les iiiortifications de rascètc chrétien l’efTct d’un stérile degoùl de la vie, c’est se troMq)er ; y voir une lutte -ans merci contre les sensations de la chair, c est ne pas les comprendre entièrement ; y voir un effort

généreux pour supporter d’abord, affronter ensuite, aimer enfin la douleur, par amour pour un Dieu souffrant, c’est comprendre leur beauté surnaturelle tout entière, sans indiquer encore cependant leur magnifique résultat dans l’âme de l’ascète. Par elles, en effet, il apprend à mieux vouloir, à mieux agir. Son apostolat devient fécond, non seulement d’une fécondité d expiation : — rien « ne poura enlever à l’humanité la conviction que le mal et que le péché réclament le châtiment, et que partout où souffre le juste, il y a une expiation qui justifie » (Harxack, L’essence du christianisme), — mais encore d’une fécondité d’amour agissant. La volonté soumise par la mortification n est plus qu’amour pour Dieu, n’est plus (

e charité, charité affectiA’e, mais aussi charité effective, et nous connaissons les merveilles de lapostolat des saints, qui tous furent de grands ascètes. Il convient de le rappeler pour le premier de tous. Celui ([u’on appelle l’Apôtre des nations : saint Paul a écrit : Castigo corpus meuni et in servitutem rédige (I Cor., IX, 2 ;).

4) L ascète, pour se rapprocher de Dieu, pour s unir à lui dans la charité, mortifie non seulement son corps, mais aussi son esprit ; il s’attaque à l’âme, à 1 intelligence dont il arrête le développement normal : il redoute trop lorgueil et s abêtit ; à la volonté ([u il asservit par une honteuse soumission : ce n est plus un homme, mais un cadavre. L ascétisme, pour ([uelques-uns de nos contemporains, n est qu un moyen assuré d arriver au monoidéisme et à lanéantissement de la personnalité (Murisier, Les maladies du sentiment religieux, p. 43, 44) Par le terme monoidéisme, on veut désigner 1 état mystique : dès lors l’objection ne i^orte pas. L état mystique d’abord n anéantit pas la conscience, sauf dans le cas extraordinaire et momentané de l’extase. 11 n 5’a d ailleurs aucun rapport nécessaire entre lascétisme et 1 état mystique. Tous les chrétiens, tous les hommes même qui savent s imposer une mortification, font de l’ascétisme ; létat mj’stique est un état surnaturel réservé, entièrement en dehors de nos efforts, Dieu y élève quand il veut, comme il veut, qui il veut. Voir pour plus de détails le mot Extase.

Reste le reproche fait à lascétisme, d’amoindrir lessor naturel de notre esprit et d’humilier notre volonté par lobéissance. Vraiment j’ai peine à croire que les autem’s qui parlent ainsi soient de profonds psychologues, car ils sont de bien mauvais historiens, et l’histoire ne saurait, au moins d’une façon permanente, contredire la psychologie. N est-ce pas elle en effet qui surtout nous permet d’en établir les lois les plus universelles ? Que dit donc l’histoire ! Que presque tous les grands ascètes chrétiens, de saint Paul à saint Ignace de Loyola, furent des hommes éminents par 1 intelligence et la volonté. Des noms ? Mais qu’on ouvre au hasard un martyrologe ou un bréviaire : saint Ambroise, saint Antoine, sait Allianase, saint Augustin, saint Benoit, saint Bruno, saint Domini(pie, saint François d’Assise, saint François Xavier, saint François de Sales, saint Jean de la Croix, saint Philippe Néri, saint Thomas d’Aquin, saint Vincent Ferrier, saint Vincent de Paul. A quoi bon continuer ? 11 faut pourtant rappeler qu’il y a eu dans lEglisedes femmes assez illustres classez mortifiées : sainte Catherine de Gênes, sainte Catherine de Sienne, sainte Chantai, sainte Claire, sainte Elisabeth de Hongrie, la bienheureuse Marguerite-Marie et sainte Thérèse. Beaucoup de grands liouunes sans doute ne furent point des ascètes, mais il y eut tant d’ascètes qui furent de grands hommes, ([u’on n’a vraiment pas le droit de penser et d’écrire (jue l’ascétisme chrétien déprime et abêtit. Quelques-uns do