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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/176

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BABYLONE ET LA BIBLE

dans tous les domaines, qui de Babylone comme centre a rayonné et influé sur les idées et les doctrines de tous les peuples (Transactions of the third international Congress for the history of religions, vol. I, 1908, p. 234). M. René Dussaud a très bien décrit aussi le panbabylonisme wincklérien : « On part de ce point de vue que les Babyloniens assimilaient l’image du ciel à celle de la terre… et que tout événement terrestre était regardé comme préfiguré dans le ciel… Les sciences et les arts (mathématique, musique, théorie des nombres dite pythagoricienne, harmonie) sont en rapport avec les conceptions astrales. Même dans les récits historiques, il y a une large part de mythologie astrale, puisque les événements étaient considérés comme prédits par le ciel et régis par l’astrologie. Le langage reflétait à chaque instant les croyances astrologiques. Les Babyloniens faisaient de l’astrologie comme M. Jourdain de la prose » (Revue de l’histoire des religions, juillet-août 1908, p. 112). Voir aussi l’exposition et la réfutation de la théorie de Winckler dans R. W. Rogers, The Religion of Babylonia and Assyria 1908, p. 211-225.

En leur attribuant une pareille façon de concevoir l’univers, on suppose à tort chez les Babyloniens, dès la plus haute antiquité, une connaissance extraordinaire de l’astronomie ! (de la précession des équinoxes, etc.). — Pour répondre à cette objection, appuyée par un récent ouvrage de l’astronome-assyriologue Kugler, S. J. (Sternkunde und Sterndienst in Babel, Bd. I, 1907), A. Jeremias vient d’écrire une nouvelle brochure, Das Alter der babylonischen Astronomie, 1908. Car A. Jeremias est le bras droit de Winckler dans la lutte sur ce terrain. Mais ces quelques pages contiennent nombre de lourdes méprises et d’assertions sans preuves, comme Kugler vient de le démontrer (Anthropos, mars-avril 1909, p. 477 499) Depuis quelques années l’école de Winckler attaque avec vigueur l’école de Wellhausen (Stade, Marti, etc.), et lui reproche de ne pas puiser assez aux sources historiques, de ne point tenir compte de toutes les données. Mais à la place de l’interprétation critique rationaliste, elle en offre une autre qui ne respecte pas davantage la révélation (cf. J. Calès, dans Etudes, t. CXIII, p. 461-467 ;  ; P. Volz, dans Theologischer Jahresbericht, 1907-1908, p. 185-187).

M. Alf. Jeremias traite la Bible avec moins de sans-gêne que Winckler ; il a amassé une foule de renseignements utiles dans un ouvrage très érudit, L’Ancien Testament à la lumière de l’Ancien Orient, 2e édition, 1906 ; malheureusement il s’y livre, çà et là, à des rapprochements de la plus extrême invraisemblance. Exemple : le mot ἀγνίον, agneau, se rencontre une trentaine de fois dans l’Apocalypse pour désigner le Messie. Cette image vient évidemment d’Isaïe, liii, 7 (cf. Jo. i, 29, 36 ; I Pet. i, 19). M. A. Jeremias trouve dans l’astronomie babylonienne une explication neuve ; il nomme « Epoque du Bélier » l’époque (800 av. J.-G. — 1400 ap. J.-C.) où le soleil, à l’équinoxe du printemps, entrait en réalité, par suite du phénomène de la précession des équinoxes, dans la constellation du Bélier : et il pense que le Christ est appelé Bélier dans l’Apocalypse, en tant que fondateur d’une ère nouvelle (p. 69 et 71). Outre l’étrangeté de l’idée, remarquez que dans le grec biblique, comme dans le classique, ἀγνίον signifie agneau ; mais bélier, l’animal et la constellation, se dit κριός. — Depuis plusieurs siècles le point équinoxial, toujours marqué par le signe du Bélier, coïncide en réalité avec la constellation des Poissons. C’est peut-être là, suivant M. Jeremias, l’explication du poisson symbolique des premiers chrétiens : ils auront voulu désigner ainsi l’ère nouvelle, pour l’opposer à l’époque païenne du Bélier ! (ibid., p. 69, note). Le même auteur, tout en protestant contre les évolutionnistes qui abaissent le christianisme au niveau des autres religions, veut expliquer par sa théorie astrale plusieurs données du Nouveau Testament (Babylonisches im Neuen Testament, 1906).

Les pires aberrations du « panbabylonisme » composent la substance d’un immense travail entrepris récemment par un assyriologue des plus en vue, P. Jensen. Ce savant s’est proposé de suivre les traces de l’épopée babylonienne de Gilgameš dans la littérature du monde entier (Bas Gilgamesch-Epos in der Weltliteratur, 1906). Un premier volume de plus de mille pages est destiné à montrer que l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament est un tissu de fictions, toutes tirées du poème de Gilgameš. Ce poème met en scène trois héros principaux : Gilgameš, Eabani, Xisouthros. Or les traits, les faits et gestes de l’un ou de l’autre de ces héros, et souvent de deux ou de tous les trois à la fois, se reproduisent dans maints personnages bibliques. Gilgameš est reconnaissable dans Abraham, peut-être Isaac, sûrement Jacob, Moïse, Aaron, Josué, Siméon, Gédéon, Abimélech, Jephté, Samson, le Lévite d’Ephraïm, Saül, David, Urie, Absalon, Salomon, Jéroboam, Adad, Baésa, Elie, Elisée, Achab, Naaman, Tobie le père et le fils, Jonas, Jésus, Pierre, Hérode Antipas, etc. Eabani se retrouve dans Isaac, Jacob, Esaü, Joseph, Moïse, Aaron, le grand-prêtre Eléazar du temps de Josué, le Lévite d’Ephraïm, Jephté, Samson, le prophète Ahias, Samuel, Saül, David, Jonathan, Nathan, Absalon, Jéroboam, Elie, Tobie le fils, Nabuchodonosor, Daniel, Esdras, Jonas, Jean-Baptiste, Jésus, Lazare, etc. Xisouthros est copié dans Abraham, Lot, Abimélech, roi de Gérara, Jacob, Joseph, Moïse, Josué, Gédéon, Samuel, David, le roi philistin Achis, le téraphim enlevé par Rachel à Laban, le téraphim mis par Michol dans le lit de David, les prophètes Nathan, Elie et Ahias, Jéroboam, Adad, Tobie le fils, Daniel, Esdras, Jonas, Jésus, etc.

Voici, aux yeux de Jensen, un des rapprochements les plus frappants pour tout lecteur d’un peu « d’intelligence et de bonne volonté » ; je cite mot à mot (Das Gilgamesch-Epos, p. 406-407) :

1. Eabani est avec une hiérodule, une servante d’Istar.
&nbsp ;
Saül est avec un serviteur. (I Sam. ix.)
2. Eabani est invité par la hiérodule à se rendre avec elle à Erech auprès de Gilgameš.
Saül est invité par le serviteur à se rendre avec lui dans une ville auprès de Samuel.
3. Eabani y consent.
Saül y consent.
4. Ils arrivent à la ville de Gilgameš.
Ils arrivent à la ville de Samuel.
5. Là (à ce moment ?) une fête est célébrée.
Là (à ce moment) une fête est célébrée.
6. Ils rencontrent des jeunes filles (ou des femmes)
Ils rencontrent des jeunes filles
7. qui indiquent à Eabani (et à la hiérodule) où se trouve Gilgameš.
qui indiquent à Saül (et au serviteur) où se trouve Samuel.
8. Eabani a été annoncé à Gilgameš (probablement pendant la nuit) dans deux songes.
Saül a été annoncé par Dieu à Samuel (probablement en songe) le jour précédent.
9. Eabani aborde Gilgameš,
Saül aborde Samuel,
10. et reçoit de lui l’hospitalité.
et reçoit de lui l’hospitalité.

Pour prouver qu’il s’agit çà et là, dans la Bible, d’un même thème indéfiniment répété, Jensen s’appuie sur les coïncidences curieuses que voici (p. 189-191) : l’Exode a lieu au printemps ; de même le