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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/197

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BABYLONE ET LA BIBLE

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du corps », c’est-à-dire bonne humeur et santé, joie et bien-être ; mais c’est déjà beaucoup de reconnaître sur ce point sa dépendance par rapport à l’Etre divin.

Si des manifestations de la piété particulière nous passons à la louange officielle des dieux, nous en trouvons de magniOqnes expressions dans un grand nombre d’hymnes. Voyez les traductions françaises données par Scheilcu 1897 dansla Be^nie de Vliistoire des religions, et par M. Fr. Martin dans deux aoIumes de Textes religieux assyriens et babyloniens, 1900 et 1908 ; et le recueil plus complet de St. Lang-DON, SBP, 1909.

Quelle que soit l’élévation des sentiments, justement admirée dans ces pièces d’une poésie splendide, la note religieuse n’est pas la même que dans les chants sacrés des Hébreux. On trouverait difficilement dans la littérature babylonienne un chant religieux à l’uniciue (in de célébrer la gloire des dieux, de leur témoigner le respect et la reconnaissance, l’amour et la confiance, sans aucune mention des intérêts de leurs pieux clients. Les hymnes commencent d’ordinaire par de magnitif[ues louanges de la divinité ; ils exaltent ses attributs en stjde pompeux ; ils se terminent régulièrenient par une requête.

On sent que la préoccupation principale du suppliant est d’apaiser les dieux, de gagner leurs bonnes grâces, poiu" leur faire accueillir favorablement une demande. Un trait aussi caractéristique n’apas échappé à M. Jastrow, l’auteui* qui a consacré à cette religion l’étude jusqu’ici la plus complète. Il signale le lien étroit qui unit les prières et les incantations, et il en donne la raison suivante : « Les Babyloniens comme tes Assyriens ne se tournaient Aers les dieux que quand ils désiraient en ol)tenir quelque chose, protection ou guérison, délivrance d’un mal, ou bien faveur’… La pure louange des dieux sans autre intention n’existe pas dans le culte babylono-assyrien » {Die Religion Babyloniens and Assyriens, t. II, p. 138, igoG).

Au contraire, il arrive à l’Israélite pieux de perdre complètement de vue ses propres intérêts. Le psaume XXIX (Vulg. xxviii) ne se borne-t-il pas à célélirer la puissance de lahvé ? Bon nombre d’autres ont pour unique objet d’exalter les bienfaits divins ; ainsi les psaumes cv, cvii, cxi (Vulg. civ, cvi, ex), et la plupart de ceux qui commencent par les mots : « Louez lahvé !)) (Alléluia). Un poème d’assez longue haleine, le psaume civ (Vulg. cm) chante l’œuvre créatrice et providentielle de lahvé, Maître absolu de l’univers ; le poète ne sort pas un instant de ce sujet. Sans doute l’Israélite, autrefois comme aujourd’hui, n’était pas désintéressé des biens de ce monde. Cependant, grâce à la haute idée de Dieu qui caractérisait sa religion, il tournait facilement sa prière vers un plus noble idéal ; il demandait comme un bien suprême de se rendre agréable à lahvé par l’observation de ses commandements. Voyez les psaumes XIX, cxix (Vulg. xviii, cxviii), etc. Et si l’on dit que ces sentiments sont le fruit d’une évolution tardive où la pensée religieuse s’est épurée, qu’on nous montre en Babylonie, après plus de trois mille ans de civilisation, une évolution et une épuration pareilles. Mais chez les Hébreux, l’idée de la sainteté de la Loi dérivait en droite ligne de l’enseignement des plus anciens prophètes et du fonds primitif de la législation mosaïque sur la sainteté de lahvé. Ceci nous amène à parler de l’idée de péché chez ces anciens Sémites.

maintes reprises, la Loi inculque la nécessité pour le peuple élu d’être saint parce que son Dieu st saint (Ex. xix, 6 ; Lév. xi, ^î ; xix, 2 ; xx, 26, etc.). Si la Loi est une manifestation delà sainteté de lahvé,

le péché, violation de la Loi, offense cette souveraine sainteté. Pénétré de cet enseignement, l’Israélite envisage le péché sous un tout autre aspect que ses voisins polythéistes, n’en déplaise à Delitzsch, qui prétend qu’on se trompe fort en attribuant à Israël une conception plus profonde de la nature du péché. Car les Babyloniens pieux, dit-il, expriment dans leurs plaintes, en même temps que leurs maux extérieurs, la douleur de l’âme causée par le péché (BB, IIL p. 26). Il aurait fallu ajouter — c’est le point principal — poiu- quelle raison, de quel point de atic, utilitaire ou moral, le péché causait cette douleur. « La grâce du dieu miséricordieux, dit M. Fr. Jerk-MiAS, résultat recherché et espéré de la prière, n’est que la délivrance de la maladie. C’est ce que signiGe la rémission des péchés. Guérir et pardonner sont des synonymes. C’est en partant de là qu’il faut juger les concepts de faute et de péché, de miséricorde et de pardon >. (dans le Manuel d’histoire des religions de Chaxtepie de hx Saussaye, trad. franc., 190/1, p. 151). ÏIELE jugeait aussi que les Babyloniens et les Assyriens « n’étaient pas encore arrivés à distinguer nettement entre le péché et les suites du péché » (Geschichte der Religion im Altertum, vol. I, iSgS, p. 21 5). En elïet, ils sentent que tel mal est le châtiment d’une faute ; ils i-egrettent donc d’avoir commis la faute, cause du mal ; ils s’humilient pour apaiser le dieu irrité. C’est la crainte servile, et non le pur repentir d’avoir déplu à la divinité. A côté des gémissements et des supplications du coupable, on ne voit pas la promesse de mieux faire, la demande d’un secours pour y réussir. On le constatera aisément en comparant par exemple au psaume li (Vulg. l) les plus beaux passages des hjnines que l’on a appelés « psaumes pénitentiaux babyloniens » (Babylonische Busspsalmen, publiés par Zimmerx en 1885) :

Les fautes que j’ai faites, je ne les connais pas…

Le Seigneur dans la colère de son cœur m’a regardé,

Le dieu dans la fureur de son cœur m’a visité…

Je cherche (du secours) ; nul ne me tend la main ;

Je pleure, et près de moi je ne trouve personne.

Je crie ; personne ne m’entend.

Triste, gisant à terre, sans lever les yeux,

Vers mon dieu miséricordieux je me tourne en gémissant.

Le suppliant est convaincu que le mal physique dont il souffre est un effet du mal moral — cette pensée se rencontre souvcnt dans l’Ancien Testament, surtout dans le livre de Job ; — parfois il ne sait pas de fjuelle faute il s’est rendu coupable : « Ma petitesse, je ne la connais pas ; le crime que j’ai commis, je ne le sais pas » (Fr. Martin, TR, 1900, p. 15). Ou bien il ignore quelle divinité il a offensée, et, pour ne point risquer d’omettre justement celle-là dans ses invocations, il implore le « dieu inconnu », la « déesse inconnue « .

Le pénitent Israélite s’élève plus haut :

En moi, ù Dieu, crée un cœur pur.

Et renouvelle en moi un esprit ferme.’Xe me rejette pas loin de ta face,

Va ne retire pas de moi ton espi’it saint ! … .Vux impies j’enseignerai tes voies,

Et les pécheurs retourneront i toi… (Ps. iii, Vulg. l).

M. Fr. Martin a raison de souligner la ressemblance frappante entre le texte suivant traduit par lui cl divers passages des psaumes hébreux (TR, 1903, p. xxvi) :

Qu’ils meurent, eux ; que moi, je vive ; Qu’ils jiassent, eu.K ; que moi je prospère ; Qu’ils soient anéantis, eux ; que moi, je reste debout ; Qu’ils s’afl’aihlissent, eux ; que moi, je nie fortifie ! O dieu du feu, le puissant, le plus élevé dos dieux… Toi, tu es mon dieu ; toi, tu es mon maitre ; Toi, tu es mon juge ; toi, tu es mon sauveur ; Toi, tu es mon vengeur.