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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/202

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BABYLONE ET LA BIBLE

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Plusieurs auteurs reprennent en sens inverse, mais sans plus de critique ni plus de succès, la thèse de Clément d’Alexandrie. Ce savant et d’autres de son temps prétendaient que les poètes et les philosophes païens avaient pillé les livres sacrés des Hébreux. Pour que le foi fût manifeste, il suffisait que deux auteurs se soient rencontrés à dire à peu près la même chose sur n’importe quel sujet, par exemple, que le viii, bu avec modération, est utile, et nuisible si l’on en prend avec excès. « En histoire comparée des religions, dit M. A. Lods, c’est faire un travail de mince utilité que de se bornera noter des ressemblances, surtout des ressemblances aussi vagues ou aussi contestables » que celles signalées par certains critiques. Il faut « établir la filiation » (Revue de l’histoire des religions, 1904, t. L, p. 87, 88). (Plût au ciel que M. Lods eût toujours appliqué ces sages principes dans son ouvrage sur la vie future dans l’antiquité israélite !)

Il est rare, en effet, qu’une ressemblance soit assez typique pour prouver par elle seule qu’un des deux sujets dérive de l’autre. La nature humaine est essentiellement la même dans tous les temps et dans tous les pays, avec ses facultés, ses besoins, ses tendances, sa faiblesse et ses misères. L’homme qui se sent coupable et malheureux se tourne naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A quelque race qu’il appartienne, il risque fort d’implorer la miséricorde divine dans les mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L’attitude de la prière, les manifestations extérieures du respect et de l’humilité sont à peu près les mêmes partout : on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d’obtenir une grâce, plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie. L’idée du sacrifice se trouve également au fond de toutes les religions, comme aussi celle de l’offrir sur un autel, par les mains d’un prêtre consacré à cet effet. Il est assez naturel de porter solennellement en procession les images de ceux que l’on veut présenter à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d’ablutions, la transmission d’un pouvoir ou d’une influence par l’imposition des mains, et bien d’autres pratiques religieuses sont autant de choses très conformes aux dispositions de la nature humaine. Il est puéril de s’étonner des similitudes en pareille matière, et de les noter avec empressement comme une découverte ; ou de se laisser prendre à quelques traits extérieurs de ressemblance entre certaines images, et de vite conclure à une imitation. « Faut-il rappeler cette extraordinaire prétention d’un érudit de faire remonter à une image de la déesse assyrienne Istar l’origine de la Vierge aux sept glaives devenue si populaire dans les pays catholiques ? » (H. Delehaye, S. J., Les légendes hagiographiques, 1905, p. 288, cite en note H. Gaidoz, « La Vierge aux sept glaives », Mélusine, t. VI (1892) p. 126-188). Pour en revenir à hymne à Ištar cité plus haut, col. 879, on comprend sans peine que les sentiments de tendre confiance, exprimés par un chrétien dans une prière à la Vierge Marie, pourront, sans être un écho, rendre le même son que les invocations du pénitent babylonien implorant sa déesse miséricordieuse. Celui-ci récite une « prière de l’élévation des mains » ; l’autre élève naturellement les mains pour implorer le secours d’en-haut. Le copiste babylonien dit, à la fin, qu’il a écrit ce poème « pour (la préservation de) sa vie » ; et bien des copistes du moyen âge ont employé spontanément des formules semblables.

M. Hubert Grimme a le premier attiré l’attention sur le parallélisme frappant de Eccle. ix, 4-9, avec ce passage de l’épopée de Gilgameš :

Lorsque les dieux créèrent l’humanité,
Ils placèrent la mort pour l’humanité.
Ils retinrent la vie entre leurs mains.
Toi, ô Gilgameš, remplis ton ventre.
Jour et nuit réjouis-toi, toi,
Chaque jour fais la fête,
Jour et nuit sois joyeux et content !
Que tes vêtements soient brillants !
Que ta tête soit lavée, lave-toi avec de l’eau !
Considère le petit qui saisit ta main.
Que l’épouse se réjouisse sur ton sein !

(Duorme, Choix…, p. 301-303, et RB, 1907, p. 78). L’Ecclésiaste dit, justement après quelques réflexions tristes sur la condition des morts :

Va, mange ton pain dans la joie,
et bois ton vin avec un cœur content !
car dès longtemps Dieu se plaît à tes actions.
En tout temps que tes vêtements soient blancs,
que sur ta tête l’huile ne manque pas !
Jouis de la vie avec la femme que tu aimes,
tous les jours de la vaine existence que (Dieu) t’a donnée sous le soleil.

Une relation de dépendance entre ces deux textes ne me paraît pas évidente ; je n’oserais pas même la dire très probable, si cet exemple était isolé. Ces manières de jouir et de manifester sa joie sont trop communes à tous les hommes ; le seul point frappant est le même ordre dans lequel cinq idées au moins sont exprimées, et cet ordre, étant assez logique, pourrait être le même de part et d’autre par le fait d’une pure coïncidence. Mais comme cet exemple se présente au milieu d’un ensemble de faits qui tendent à démontrer qu’Israël a été, dans une certaine mesure, sous l’influence de la civilisation babylonienne ; comme, d’autre part, la composition de l’Ecclésiaste se place, d’après tous les critiques indépendants et plusieurs critiques catholiques, à une époque assez basse ; comme enfin l’auteur du livre de l’Ecclésiaste paraît être un esprit cultivé et de beaucoup de lecture, la dépendance en question n’est pas sans quelque probabilité. Avec prudence le même raisonnement peut s’appliquer à tel rapprochement mentionné dans les pages précédentes, qui, pris tout seul, ne prouve pas grand chose, mais, situé auprès des autres, gagne en probabilité et mérite d’être pris en considération.

4. — Il faut tenir compte aussi de la communauté de race. Telle prescription mosaïque, au lieu de se rattacher directement, malgré les apparences, à la législation hammourabienne, ne fait peut-être qu’enregistrer une très ancienne coutume. Une origine commune, une même tournure d’esprit et la parenté des langues expliquent certaines expressions, comparaisons, métaphores et autres figures de langage, les formes de la poésie, le parallélisme des membres du vers (dont la littérature égyptienne offre aussi des exemples), la strophe mesurée par le sens et par l’arrangement parallèle ou symétrique d’un nombre égal de vers.

De l’influence en matière de civilisation matérielle on ne doit pas conclure, par une généralisation arbitraire, à une influence pareille dans le domaine religieux. Les Hébreux, soit lors de leur établissement au pays de Canaan, soit plus tard par suite des relations politiques ou commerciales, peuvent fort bien avoir adopté pour la supputation, la division du temps, les poids et les mesures, le système sexagésimal en usage sur les bords de l’Euphrate et ailleurs, sans avoir copié du même coup une religion étrangère. Sans doute, à diverses époques, surtout sous les rois impies Achaz et Manassé, les superstitions des Assyriens et des Chaldéens ont tenté de pénétrer en Israël ; mais ces abus ont été vigoureusement condamnés et refoulés par les prophètes.