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BONIFACE Vill

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du reste, enchaîné. Mais les habitants d’Anagni, revenus de leur première surprise, intervinrent alors, et s’opposèrent à ce que Boniface fût enlevé de leur ville, et conduit en France ; le lendemain ils assaillirent le château, chassèrent les Français, et traînèrent dans la boue la bannière fleurdelysée. Le Pape, conduit à Rome sous escorte, y mourut le mois suivant, des suites de l’émotion causée par la terrible scène d’Anajjni.

Nogaret ne désarma pas après la mort de sa victime. Appuyé par la Cour de France, il déclara poursuivre le procès contre la mémoire de Boniface, et ne renonça à son infâme campagne de calomnies que lorsque Clément V eut la faiblesse de promulguer la Bulle Rex gloriæ vii-tutum (27 avril 131 i) qui faisait effacer des registres de l’Eglise de Rome les actes de Boniface contre le roi de France et ses auxiliaires, et défendait d’inquiéter ceux qui en avaient été l’objet. Une autre bulle, du même jour, déclarait que le roi avait été inspiré « par un zèle bon et juste », Zelum bonum atqiie justiim, dans ses rapports avec Boniface. « Approbation plus cruelle cent fois pour la papauté que le soufflet symbolique de Sciarra » (Langlois).

Bibliographie. — Sources : Digard, Faucon et Thomas, Registres de Boniface VIII. Paris, 1884 sq ; Potthast, liegesta Pontificum romanoriim, t. II, p. içj’î'i sq ; liaynald, Annales Ecclesiastici, années 1294 sq ; Dupuy. Histoire du différend entre le Pape Boniface VIII et Philippe le Bel ror de France. Paris, 1655 (avec les Preuves) ; Collections des Conciles de Mansi, t. XXIV et XXV, de Hardouin, t. VII.

Ouvrages : M. G. Digard prépare une thèse sur Philippe le Bel et le Saint-Siège. En attendant son apparition, on peut consulter les ouvrages suivants : Baillet, Histoire des démêlés du Pape Boniface VIII avec Philippe le Bel, Paris, 1718 ; E. Boutaric, La France sous Philippe le Bel, Paris, 1861 ; Drumann, Geschichte Bonifacius VIII, Kœnigsberg, 1862 ; Ilefele, Histoire des Conciles (trad. Delarc, t. IX, ou 2^ édition aliemande ; t. VI ; p. 28 1 sq) ; Hemmer, article Boniface VIII du Dictionnaire de Théologie catholique ; Jungmann, Dissertationes in Histor. Ecclesiast.. t. VI, p. 1 sq, Ralisbonne, 1886 ; Langlois, Philippe le Bel et Boniface F/// (Histoire de France de Ê. Lavisse ; t. III (II) ; p. 12’j sq) ; V. Leclerc et E. Renan, Histoire littéraire de la France, au XIV^ siècle, Paris, 1865 ; E. Renan, Etudes sur la politique religieuse du règne de Philippe le Bel, Paris, 1899 ; réimpression d’articles de l’Histoire littéraire de la France, t. XXV-XXVIl et t. XXX ; Rocquain, La Cour de Home et l’esprit de réforme avant Luther, t. II, Paris, 1896 ; Tosti O. S. B., Histoire de Boniface VIII, Paris, 1854.

II. La bulle Unam Sanctam ». — La bulle

« Unam Sanctam » de Boniface VIII est généralement

citée comme l’expression la plus audacieuse des

« doctrines tliéocratiques » du Moyen Age. Cette

Bulle, dont ([uelques auteurs ont à tort révoqué en doute Tant hentici té, figure au registre de Boniface VIII ; elle fut pronudguée, dans les circonstances rappelées plus haut, le 18 novembre 1302, dans un synode romain auquel assistaient environ quarante membres du clergé français.

Après avoir rappelé l’unité de la Sainte Eglise, corps mystique du Christ, le Pape déclare « que ce corps uniijue ne doit pas avoir deux têtes — ce serait monstrueux — mais une seule, le Christ, et le vicaire du Clirist, Pierre et ses successeurs, puisque c’est à Pierre que le Christ a dit : « Pais mes brebis « … Deux

glaives sont au pouvoir de l’Eglise, un spirituel et un matériel ; le second doit être manié^oar l’Eglise, le premier />ar l’Eglise ; le premier est dans la main du prêtre, le second dans la main du roi et de ses soldats, mais suivant la direction et la volonté du prêtre « ad nutum etpatientiam sacerdotis ». Le second glaive doit être soumis au premier, le pouvoir temporel soumis au pouvoir spirituel…La vérité l’atteste, le pouvoir spirituel doit diriger, instruire (/ « s^i/were), le pouvoir temporel, et le juger s’il prévarique, — si donc le pouvoir temporel s’égare, le spirituel le jugera ; si un pouvoii’spirituel inférieur s’égare, il sera jugé par son supérieur ; si le pouvoir spirituel suprême s’égare, il n’a pas de juge parmi les hommes, mais Dieu seul est son juge… Résister au pouvoir ordonné de Dieu, c’est résister à l’ordre divin, à moins qu’on ne veuille, comme les Manichéens, imaginer deux principes, ce qui serait faux et hérétique… Nous déclarons par conséquent à toute créature humaine, lui disons, définissons et prononçons, que son salut exige absolument sa soumission au Pontife romain. « Porro subesse Romano Pontifici omni humanæ creaturae decluramus, dicimus, defînimus et pronunciamus, omnino esse de necessitate salutis. »

Sur ces textes on peut remarquer :

1°) La conclusion, qui seule est une définition dogmatique, est tellement vague qu’elle peut s’entendre du simple pouvoir spirituel du Pape, auquel aucun catholique logique ne saurait refuser sa soumission.

2") La distinction des deux pouvoirs, spirituel et temporel, est formellement enseignée.

3") Etant donné le sens général de la Bulle, dont les dernières lignes forment la conclusion, et à laquelle elles se rattachent par la conjonction Porro, Boniface VIII entend bien affirmer dans le Pape un double pouvoir, spirituel, qu’il exerce par lui-même, temporel, qu’il exerce par les princes chrétiens. Mais ce second pouvoir, rien n’indique dans la Bulle qu’il s’exerce dans les matières purement temporelles, comme celui d’un suzerain sur ses vassaux. Tout au contraire, les arguments du Pape (unité du corps de l’Eglise, soumission de toutes les brebis du Christ à leur pasteur, supériorité du pouvoir spirituel sur le temporel) montrent qu’il considère le prince, non comme souverain temporel, mais comme membre de l’Eglise. A ce titre, le prince doit, comme tout autre fidèle, être soumis à la direction du Pape dans tous les cas où sa conscience est intéressée ; nombre de ses actes de gouvernement temporel tombent par là même sous cette direction. Tels sont, en particulier, ceux qui concernent les matières mixtes, c’est-à-dire celles où les intérêts de l’Eglise sont enjeu comme ceux de l’Etat (par exemple législation sur le mariage, l’éducation ) ; le prince ne peut, sous prétexte d’avantages temporels, violer en ces matières les lois de l’Eglise ou léser ses intérêts ; c’est ce qu’exprime Boniface par la célèbre métaphore des deux glaives dont l’un doit être soumis à l’autre.

4") Les mêmes doctrines se retrouvent nettement exprimées dans une foule de documents pontificaux depuis S. Grégoire VII ; les principes desquels elles découlent sont ceux mêmes que le Christ a énoncés en fondant son Eglise (cf. l’article PapautÛ’, Pouvoir indirect du Pape en matière temporelle). Parler de théocratie en appréciant la Bulle Unam Sanctam, c’est en fausser le sens, c’est oublier la distinction si nettement formulée par Boniface VIII lui-même au consistoire d’Anagni, en 1302. « Il y a deux pouvoirs ordonnés de Dieu… nous n’usurpons en rien la juridiction du roi. mais il ne peut nier qu’il nous est soumis, comme tout autrefidèle, rrt//o//t>/ ; etcfl//. »

BiBLiOGRAPiiiK. — Le texte de la Bulle Unam Sanc-