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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/343

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CONSCIENCE

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morale i)ar le conflit, en nous, de l’idéal rationnel et des instincts inférieurs. « La sanction morale, écrit cet auteur, est la réaction de l’esprit contre les actes qui sont une violation des lois rationnelles… S’exposer à cette sanction, se mettre dans le cas de provoquer cette réaction de tendances rationnelles, c’est là précisément ce qui constitue l’état d’esprit appelé responsabilité morale. » (Desdouits, La Responsabilité morale, p. 34-)

On estimera sans doute que la responsabilité morale n’est point expliquée ni fondée, tant qu’on écarte la notion de libre arbitre.

Ne peut-on, du moins, justifier la notion de responsabilité léj^ale ou pénale sans recourir à la liberté ?

Le rôle des tribunaux liumains ne consiste pas à juger le fond des consciences et à rétablir l’ordre lésé de la justice idéale : soit. Il se borne à défendre la société : d’accord. Il se limite au for extérieur : assurément. Mais, sans avoir pour but de l’établir, ne supposc-t-il pas admise d’ailleurs, l’existence du libre arbitre ; et, sans pouvoir déterminer rigoureusement le degré de culpabilité intime du délinquant, ne s’occupe-t-il pas de vérifier au préalable et d’une manière générale son état d’esprit ?

Il suflit, répond l’école criminaliste dont Lombroso, Garofalo et SiGHELE sout les principaux chefs, qu’un homme soit nuisible et dangereux, pour être légalement responsable. La temebiUta : voilà le fondement de la responsabilité pénale.

Sous une forme un peu difi’érente et plus élaborée, l’école utilitaire de France enseigne une doctrine svibstanliellement la même. Il ne faut plus dire : « Est responsable l’individu qui est libre, dans la mesure où il est libre. Nous disons jjIus simplement : est défini responsable, celui qu’on peut utilement punir. » (M. Belot, Bulletin de la Société française de philosophie, mars igoS, p. 95.) Dans son ouvrage sur f.a Responsabilité pénale, ÂI.Landry en donnait déjà cette définition : « Quelque chose qui fait que nous devons, pour le bien général, être punis, et être punis d’une peine plutôt que d’une autre. »

La question que le ci-iminaliste doit résoudre ne porte donc plus sur l’état d’àme du coupable, mais sur les seules exigences de la défense sociale. Suprema lex salas populi. Rest(^ k déterminer quels sont les individus ou les groupes d’individus que la justice peut avantageusement frapper, et par quelles peines, dans les difJFérentes sortes de cas, elle pourvoira le plus eflicacement à la tranquillité publique.

Ceux-là sont punissables, déclare M. Fouillée dans son ouvrage sur La Liberté et le Déterminisme, qui ont prévu ou pouvaient prévoir les conséquences de leurs actes et s’attendre au châtiment. De ce chef, les aliénés sont soustraits à la vindicte publique : leur raison troublée n’a rien prévu. Le critère ne suflit pas néanmoins. Ne puis-je poser involontairement et innocemment des actes dont je conqirends la portée ? Si, par contrainte, on me saisit le bras pour en frapper un passant, je prévois le donunage qui peut en résulter ; et néanmoins, il peut se faire que, dominé par le nombre des agresseurs, ou par une force nmsculaire supérieure à la mienne, je ne puisse résister à l’impulsion qu’on inqirime à mon bras. Suis-je responsable ?

La théorie appelle un complément. On s’efforce de le trouver. Ainsi l’on établira qu’un homme est justicialile des tribunaux ou de la cour d’assises, lorsiju’il est susceplii)le, non seulement de prévoir, mais de redouter eflicacement. la sanction pénale de son délit ou de son crime. Un homme est légalement responsable, lorsqu’il est intimidable. Dangereuse et contestable assertion, dont on voit tout de suite les conséquences. On imagine une plaidoirie de ce genre :

« L’assassin que l’on soumet à votre verdict. Messieurs

les jurés, n’est pas responsable. Sa seule présence au banc des accusés le prouve. La perspective du châtiment ne l’a pas intimidé. J’en conclus. Messieurs, qu’en vertu même de la définition la plus scientifique, la plus moderne, et par conséquent la plus judicieuse, de la responsabilité pénale, vous rendrez immédiatement à ses chères études un homme dont la détention préventive fut un crime de lèse-société. Si mon client montrait, du moins, quelque faiblesse et quelque repentir ; s’il manifestait le désir de se réhabiliter et de mettre à profit votre indulgence ; s’il tremblait à la perspective du châtiment imminent ; alors. Messieurs, je conviendrais que cet homme est responsable, je confesserais qu’il mérite d’être frappé, d’autant plus lourdement qu’il est plus repentant. Mais, voyez ce front qui ne sait ni rougir ni blêmir ; remai-quez ce regard d’un cynisme superbe, et ces lèvres toutes prêtes à décocher quelque ignoble défi ; et dites-moi si cette impassible brute ne mérite pas une libération immédiate. Quant à vous, Messieurs de la cour, vous vous demanderez, dans votre haute impai’tialité et dans votre sagesse de criminalistes modernes, s’il ne convient pas d’offrir à cet irresponsable, trop longtemps prisonnier, des excuses et quelque indemnité. »

M. Landry a remarqué les inconvénients et les lacunes d’une théorie de la responsabilité qui se fonderait uniquement ou principalement sur le caractère plus ou moins intimidable du criminel ou du délinquant. Une théorie aussi exclusive aurait encore le défaut d’oublier le principe général de l’école utilitaire, et de moins penser à la société qu’à l’individu. Disons donc qu’un criminel porte une responsabilité plus ou moins lourde, suivant que le châtiment qu’on lui infligera doit servir aux autres d’exemple plus ou moins profitable. L’exemplarité devient ainsi le plus solide fondement de la responsabilité pénale. (La Responsabilité pénale ; Bulletin de la Société française de philosophie, mars igo8, p. 96-98.)

Ainsi la théorie laïque de la responsabilité pénale va se perfectionnant. Elle reste pourtant viciée d’une tare que, sans pétition de principe et par Aoie d’argumentation ad homiiiem, nous signalerons aux criminalistes qui ne tiennent pas compte des notions de liljre arbitre et de culpabilité morale.

Vous considérez exclusivement le bien de la société, leur disons-nous. Partons de ce commun principe ; et examinons si vraiment la conscience publique et l’ordre social peuvent s’accommoder d’une doctrine qui réclame le châtiment des criminels, sans égard à leur degré de liberté. Qu’il faille, en nuitière de législation pénale, considérer avant tout les intérêts de la société : d’accord. Mais nous pensons que les intérêts de la société comprennent le respect de la justice ; et nous estimons, avec M. Le Poittrvix, que le sentiment de la justice « veut instinctivement qu’on proportionne dans uiu’certaine mesure la peine à la culpabilité de l’indiviilu ». (Bulletin de la Société française de philosophie, mars igoS, p. 102.)

La morale laïque peut-elle fonder solidement soit la resjjonsabilité morale, soit la responsabilité légale ? Non ; parce qu’elle exclut le libre arbitre.

Devant quel tril)unal devons-nous répondre de notre vie entière ? Seconde question à résoudre si l’on admet que l’homme est responsable.

La justice humaine ne saurait nous donner les garanties et nous inspirer le respect nécessaires. Soit inconqjétence, soit impuissance, soit forfaiture, ses verdicts réalisent trop inq)arfaitemcnt cet idéal de juslice infaillible que suppose cette notion al)solue et impérieuse de responsabilité.