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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/384

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CRITICISME KANTIEN

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gisme capital de Kant consiste dans l’identification, injustifiée et même injustifiable, de deux significations de portées très diverses. On peut formuler ce paralogisme dans la thèse suivante, clairement impliquée par la « Critique » : « Ce qui n’est pas donné formellement dans l’expérience (= a priori, premier sens), a sa source unique dans l’esprit ( : = : a priori, second sens))’. En vertu de cette assomption, et profitant de ce que le principe de causalité, par exemple, est a priori dans le premier sens, Kant, sans disting-uer, le traite comme a priori dans le second sens. C’est transformer une définition nominale en une définition réelle, qui à son tour est grosse de la philosophie transcendantale : si en effet le concept de cause, par exemple, est de toutes pièces une création de l’esprit, il y a lieu de se demander : à quelle condition un tel concept peut- il cadrer avec l’expérience ? Mais Vassoniption de Kant est simplement fausse, et partant la recherche qu elle provoque est sans raison d’être.

Par cette assomption en effet, Kant affirme qu’il n’y a pas de milieu pour une connaissance entre une origine tout empirique et une origine tout intellectuelle, c’est-à-dire entre un matérialisme qui ne demande qu’à la sensibilité le contenu de la connaissance et un idéalisme qui ne le demande qu’à l’esprit. Or il y a un milieu. La doctrine péripatéticienne — que Kant ne connaissait pas’— l’assignait depuis longtemps. Celle-ci se gardait bien en effet d’opposer entre eux la sensibilité et l’entendement, comme si l’homme était vraiment double ; mais elle demandait au concours de ces facultés la solution du «. problème des universaux » ; car c’est de lui qu’il s’agit.

Suivant cette doctrine — qu’on ne peut ici que rappeler — le concept n’est pas produit d’une façon indépendante par l’activité de l’esprit ; et il n’est pas non plus fourni intégralement par les données sensibles ; il résulte d’une purification intellectuelle de ces données : d’elles, il retient l’objectivité ( i= id quod exprimitur), de l’esprit il acquiert l’universalité et la nécessité ( ; = modus quo exprimitur). Pour prouver cette thèse, la philosophie péripatéticienne fait surtout appel à l’expérience, qui montre les opérations de l’intelligence toujours dépendantes (extrinsèquenient ) de celles de la sensibilité. — Voir Aristote, Met. LY, 9 fin ; De anima /II ; S. Thomas, I, q. 84 sqq. ; O. WiLLMANX (Geschichte des Idealisjnus, I (iSg^), § 36, II (1896), 1^ 100, III (1897), § 71) et les ouvrages de Kleutgex, de Liberatore, du Cardinal Mercier, de C. PiAT (L’intellect actif, Leroux, 1890, p. io5 sq. ; 173 sq.), de l’abbé H. Dehove (I^^ssai critique sur le réalisme thomiste comparé à l’idéalisme Kantien, Lille, 1907. Cf. Littérature, 4) Tant qu’on n’a pas réfuté cette solution, le principe fondamental du Kantisme n’est pas établi. L’aurait-on réfutée, il faudrait encore ou prouver que toute autre hypothèse intermédiaire est pareillement impossible, ou démontrer directement que ce qui est universel et nécessaire vient intégralement de l’esprit. C’est ce que Kant n’a pas fait, n’a pas même essayé de faire.

b) La question nominale. — Il s’agit de savoir si Kant a bien défini les termes synthétique et a priori (premier sens). Suivant les définitions qu’on donne, le même jugement sera ou synthétique ou analytique ; il pourra même devenir rigoureusement impossible, c’est-à-dire absurde, qu’un jugement synthétique soit en même temps a priori.

Ordinairement, on n’accorde pas, comme nous

1. Kant n’envisage jamais comme liypotlièses adverses que celle des idées innées ou de l’harmonie préétablie ou de l’ontologisme (Platon, Crusils. Leibniz, Malebranche).

l’avons fait, que les jugements apportés par Kant en exemple (en particulier, le principe de causalité) soient synthétiques ; c’est qu’on s’appuie sur les définition s aristotéliciennes, alors que nous nous sommes mis, pour discuter Kant, à son point de vue.

Il suffisait de signaler ici cette question : nous y engager paraît superflu.

2. Les antinomies (voir supra, col. 740). — Si les an tinomies de Kant étaient insolul)les, il faudrait concéder que sa thèse est prouvée. Kant a bien compris qu’il jouait là une partie importante, il sent le besoin de s’encourager lui-même, appelle ses preuves « irrésistibles » (Prol., p. 176). s’engage expressément à défendre n’importe lequel de ses arguments (ib., 177), et avoue d’avance que si l’on en peut détruire un seul

« l’accusation qu’(il a) portée contre la métaphysique

commune était injuste » (Prol., p. 267). — En fait,

a) Dans la première antinomie : nous rejetons l’antithèse parce qu’elle constitue un paralogisme. On prend à la lettre l’expression « commencer dans le temps », et parce que cette expression, ainsi prise, n’a pas de sens quand il s’agit de l’univers ( : = : totalité de ce qui existe), on en conclut que l’univers n’a pas commencé du tout, c’est-à-dire a toujours existé. La seule conclusion légitime serait : l’univers n’a pas commencé dans le temps, — ce qui est très vrai, puisque c’est bien au contraire le temps qui a commencé avec l’univers. On n’a donc pas prouvé l’éternité du monde.

b) Dans la deuxième antinomie : nous rejetons la disjonction, en introduisant la conception péripatéticienne du continu. Nous ne voyons pas en effet comment, sans le concept de continu, on peut échapper logiquement à l’antinomie. Qui ne voudrait pas admettre cette notion aristotélicienne avec ce qu’elle implique, serait contraint, pour sauver la raison, d’admettre la thèse, c’est-à-dire de sacrifier l’objectivité formelle de l’étendue.

(Voir pour l’explication de la notion de continu l’ouvrage de A. Farges : L idée du continu, 1892.)

c) Dans la troisième antinomie : nous rejetons l’antithèse. Cette antinomie est la plus spécieuse. Elle porte en effet le problème en Dieu lui-même où l’on ne doit point être étonné de trouver quelque obscurité. — La preuve de l’antithèse Kantienne pèche doublement : i) elle suppose que Dieu commence d’agir (de créer) à un moment donné, ce qui est introduire le temps dans l’éternité ; — 2) elle suppose en Dieu un passage de la puissance à l’acte, ce qui est contraire à sa notion même.

d) Dans la quatrième antinomie : nous rejetons l’antithèse : nous admettons qu’il existe un être nécessaire, cause du monde, et qui n’est pas une partie du monde, ni l’ensemble du monde. Quant à la raison apportée par Kant, elle suppose la même erreur que l’antinomie précédente.

3. Les choses en soi. — Kant pose en principe, au début de la Critique (Crit.*, p. 39, 63) que nos sens sont affectés par des objets. Mais « étant donné les explications ultérieures, les objets affectants ne sauraient être les objets empiriques : car ceux-ci ne sont que nos représentations. Il ne peut s’agir non plus des choses en soi, transcendantes, car, suivant l’Analytique, toute conclusion relative à l’existence et à la causalité de pareilles choses en soi est absolument dénuée de valeur et de signification’  «  (Vaiiiinger, Commentar, IL p. 35 ; de même Ueber-WEG, Geschichte… 9* éd., p. 329. note, et surtout p. 334, note). Il reste donc que Kant s’est contredit.

Mais cette contradiction est si fondamentale et

1. Voir supra, col. 739 ; Prolog., p. 121, en termes exprès.