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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/395

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CRITIQUE BIBLIQUE

système d’interprétation à certains récits de l’Ancien Testament, par exemple à l’histoire de Samson. De Wette avait même envisagé de ce même point de vue les récits des Evangiles concernant l’enfance du Seigneur et sa résurrection. Strauss réfute impitoyablement Paulus, mais, au fond, il se propose le même but que lui : rendre compte de l’élément miraculeux de l’histoire évangélique, sans admettre qu’il ait quelque réalité historique. Dans cet ordre de choses, nous ne serions pas en présence de faits réels, mais seulement de croyances qui se sont traduites de manière à donner l’illusion des faits. C’est le mythe. Les généalogies des Evangiles ne seraient rien autre chose qu’une tentative, sans valem" historique, pour justifier la foi déjà traditionnelle de la descendance davidique de Jésus. Les idées génératrices du mythe évangéliqiie auraient été : le portrait prophétique du Messie dans l’Ancien Testament, les croyances populaires et aussi les développements progressifs d’une christologie savante. L’analjse à laquelle 1 interprétation mythique soumettait les Evangiles obtenait encore un résidu historique, mais moins considérable que dans l’interprétation naturaliste.

Comment le mythe évangélique avait-il eu le temps de se créer avant la composition des textes ? Strauss profitait ici d’un courant d’opinions se produisant, à ce moment même, à Tubingue, grâce à un jeune professevir, le D’Christian Baur, qui plaçait la rédaction définitive des Evangiles dans la seconde moitié du II’siècle. Les mythologistes feront-ils le sacrifice du christianisme ? Point du tout. La philosophie hégélienne leur donne le droit de rétablir ce qu’ils viennent de démolir au nom de l’histoire ; l’idée religieuse est indépendante du phénomène historique, dans lequel elle s’est traduite à un moment donné. Du reste, Strauss s’en tient à la critique littéraire des Evangiles courante, il regarde Marc comme l’epitomator de Matthieu.

L’apparition de la Vie de Jésus par Strauss (Das Leben Jesu kriiiscli hearheitet, 1835) eut un retentissement énorme ; elle marque une date décisive dans l’histoire du rationalisme moderne. Les réfutations ne se firent pas attendre, on en compta plus de soixante de 1835 à 1840. Les plus remarquables furent, du côté des protestants, la Me de Jésus par Karl Hask (dans les éditions qui suivirent 1835 ; cet ouvrage devait devenir en 18^6 la Geschichie Jesu du même auteur) ; puis l’œuvre similaire de Neander, Das Leheti J. C, 18’èj. Ces apologistes faisaient eux-mêmes des concessions considérables aux principes et à la méthode de Strauss. Du côté des catholiques, on peut citer Kuhn, Das Leben Jesu iK’issenschafllicli bearbeitet, 1838 ; Sepp, Das Leben Christi. 1843-1846. Cf. M. Yii.ivoy, Resdu Clergé franc., 15juin 1909, p. G79 et suiv.

Si Strauss eut de nombreux contradicteurs, il rencontra surtout des imitateurs, qui ne tardèrent pas à le dépasser dans ses négations. lîruno Bauek, Kritik der evangcl. Geschichte, 1840-1842, que M. Jiilicher. Einleit. in das X T., 1901’*, p. 19, regarde comme un précurseur de l’école hypercritique, reprit les traditions de l’attaque violente contre le christianisme. Les Evangiles sont du 11’siècle, leur récit est une pure fiction, sans aucun point de départ historique. C’est Marc qui a inventé l’histoire évangélique. Jésus et Paul sont des mythes, et le christianisme un produit de la philosophie populaire d’un milieu gréco-romain.

Cependant, en France, où l’ouvrage de Strauss avait été traduit par E. Littré, dès iS^o, E. Renan écrivait une Vie de Jésus (1863), qui aboutissait, somme toute, à la même conclusion : Le Christ n’est qu’un homme, mais un homme idéal. Du reste, l’écri vain français devait beaucoup à son devancier d’outre-Rhin, aussi bien pour la méthode que pour la documentation ; seulement, au jeu des idées il avait suJjstitué celui des passions : Strauss était un professeur, tandis que Renan écrivait en artiste. Ce fut la principale raison de son succès. Au lieu de mythe, il parle de « légende idéale ». Comme Strauss, il accepte les vues de Baur sur la composition tardive des Evangiles ; mais il profite d’une critique littéraire plus avancée, en faisant du texte de S. Marc le point de départ et la source des autres évangélistes.

c) De Schleiermacher à A. Sabatier. — La critique littéraire du. T. est inséparable de sa cintique religieuse, parce que celle-ci a été un important facteur de celle-là. Les philosophes hégéliens avaient substitué une sorte de Christ-Idée au Christ de la foi traditionnelle ; Paulus et Strauss, bien que par des voies différentes, prétendaient dégager dès textes le Christ de l’histoire. Ces polémiques philosophico-historiques troublaient profondément les âmes religieuses du monde protestant. Sentant le Christ leur échapper tous les jours davantage, à mesure que l’on mettait en pièces les Evangiles, elles demandèrent au piétisme des anciens Réformés de les sauver des entrepi’ises de la critique. On le pouvait d’autant mieux que la philosophie en vogue, celle de Kant, faisait de la religion une affaire da sentiment. Poiu"quoi ne suffirait-il pas à l’homme de descendre dans son àme pour y reti’ouver l’essentiel du christianisme, qui est une vie et non une science ? L’Ecriture elle-même est-elle autre chose que l’histoire des expériences religieuses déjà faites par les Prophètes, le Christ et ses Apôtres, par la Synagogue et par l’Eglise ? Si la conscience du Christ (qui s’est manifestée par une connaissance unique de Dieu et un sentiment sans pareil de sa filiation divine) nous intéresse encore, c’est qu’il est d’une certaine façon l’Humanité, qu’il a vécu notre vie et qu’il s’est survécu dans son Eglise. La valeur permanente du Christ ne se confond pas avec sa vie historique et terrestre, racontée dans les Evangiles ; elle dépend encoi’e, et bien davantage, de l’expérience personnelle que chacun en fait. Sans cette expérience, on ne perçoit que la lettre de l’Ecriture ; or. cette lettre n’a qu’une Aaleur relative et caduque, que la critique peut, avec le temps, réduire en poussière. Le miracle, par exemple, est le nom religieux d’un phénomène naturel ; or, la valeur religieuse d’un fait résulte de l’expérience, c’est-à-dire de l’impression qu’il fait sur l’àme croyante. Pourvu que cette impression se produise, peu importe la nature du phénomène auquel elle est liée. Le récit de la conception virginale du Christ, qu’il nous livre une réalité ou un pur symbole, donnera toujours à connaiti’e son origine céleste et son incomparable pureté.

La synthèse que nous venons d’esquisser est le point d’arrivée d’un mouA-ement dont Sculeier-MACHER (1768-183/1) fut l’initiateur, qui devait être soutenu et développé, en Allemagne, par Rich. Rothe (1’799-1 867) et surtout par Ritscul (1822-1889) ; en Angleterre, par Colerioge (1772-1834), F. D. Maurice (1805-1872) et Matthew Arnolo (1822-1 888) ; en Suisse et en France, par Alex. Vinet (1797-1847) et E. Sche-HER (1815-1889). lia atteint son apogée dans les écrits d’Aug. Sahatier, et particulièrement dans Lrs religions d’autorité et la religion de l’Esprit, 1908. D’après l’auteur, la conscience chrétienne est définitivement alfranchie, même vis-à-vis de l’Ecriture ; c’est le triomphe de l’Esprit sur la lettre. La critique peut faire de cette lettre ce que bon lui semblera. Jadis, on allait de l’Ecriture au Christ, aujourd’hui c’est du Christ qu’on va à l’Ecriture.

Tous les protestants libéraux, — et c’est le très