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DÉLUGE. —
I. Observation préliminaire sur la position de la question. — II. L’Universalité du déluge n’est pas absolue. — III. Réponse générale aux objections tirées des sciences naturelles. — IV. Réponse aux objections tirées de la géologie. — V. Réponse aux objections tirées des sciences anthropologiques.

I. Position de la question.

Le récit biblique du déluge (Genèse, vi-vii), dont nous supposons ici établi le caractère historique (voir l’art. Genèse), a été combattu au nom de la géologie, de l’histoire naturelle, de l’ethnographie, etc.

Souvent ces attaques ont leur principe dans l’ignorance de ce qu’est en réalité le déluge biblique. Il faut reconnaître que les exégètes et les apologistes eux-mêmes ne l’ont pas toujours compris de la même manière ; plusieurs, peut-être, par une interprétation trop servilement littérale des textes, y ont introduit des difficultés inutiles. C’est pourquoi nous aurons surtout à fixer la signification véritable ou plus probable du récit inspiré, après quoi les objections se dissiperont presque d’elles-mêmes.

II. L’Universalité du déluge n’est que relative.

Les principales difficultés qu’on élève contre l’histoire du déluge sont basées sur l’universalité que le récit biblique paraît attribuer au phénomène. Les réponses des apologistes varient selon l’idée qu’ils se font eux-mêmes de cette universalité. Les uns, suivant le sentiment reçu presque sans contradicteurs jusqu’à l’époque moderne, prennent au sens propre et strict les textes où l’Écriture affirme que les eaux, inondant la terre, grossirent à tel point que toutes les hautes montagnes qui sont sous le ciel furent couvertes, et que toute créature vivant sur la terre périt, à l’exception de ce qui fut sauvé dans l’arche : c’est l’universalité absolue. D’autres pensent que ces expressions fortes de la Bible ne s’appliquent qu’à la terre habitée par les hommes, et qu’ainsi le cataclysme n’a eu lieu et n’a causé la destruction de toute vie que dans l’étendue du globe déjà occupée par l’humanité : c’est l’universalité relative, qu’on appelle encore l’universalité ethnographique ou anthropologique, tandis que la première serait l’universalité géographique. Une troisième opinion, qui a trouvé quelque faveur de nos jours, supprime plus radicalement la difficulté, en niant même l’universalité ethnographique, et admettant que le déluge n’a enseveli qu’une fraction de l’humanité, peut-être pas très considérable.

Vu la manière dont il est parlé de la destruction des hommes par le déluge, non seulement dans la Genèse, mais encore dans d’autres parties de la Bible (Sagesse, xiv, 6 ; Ecclésiastique, xliv, 17-18 ; S. Mathieu, xxiv, 37-89 ; Ire épître de S. Pierre, iii, 19-21 et IIe épître, ii, 5 ; iii, 6) et surtout devant l’interprétation unanime de la tradition catholique, cette dernière opinion ne nous paraît pas assez sûre pour nous y appuyer dans notre réponse (voir : pour, abbé A. Motais, Le déluge biblique devant la foi, l’Écriture et la science, Paris, 1885 ; contre, J. Brucker, L’universalité du déluge, extrait de la Revue des questions scientifiques, Bruxelles, 1886, et Questions actuelles d’Écriture Sainte, pp. 254-303, Paris, 1895. Cf., pour l’histoire de la controverse sur ce sujet, Fr. de Hummelauer, Commentarius in Genesim, 1896, p. 235-256),

L’universalité absolue du déluge soulève les difficultés les plus graves, si même elles ne sont entièrement insolubles. Sans doute il n’était pas impossible à Dieu de la réaliser ; il lui suffisait, pour cela, de multiplier les miracles, qui ne lui coûtent rien. Mais encore faut-il la preuve que tous ces miracles ont été faits. Assurément le déluge biblique ne s’est pas produit sans miracle. Mais autant il est manifeste que l’Écriture affirme l’intervention spéciale de Dieu dans la catastrophe, autant il l’est aussi qu’elle ne fait nullement entrevoir les proportions qu’aurait prises cette intervention, dans l’hypothèse de la submersion totale et de la destruction de tous les êtres vivants. Elle montre Dieu auteur du déluge, mais le produisant par la mise en mouvement de causes naturelles, qui auraient été manifestement incapables de réaliser un déluge absolument universel.

L’inondation est due à la pluie et au débordement des « sources de l’abîme (de la mer ?) » : quelles sources naturelles pourraient fournir l’eau nécessaire pour couvrir le globe terrestre tout entier d’une couche noyant jusqu’aux sommets des montagnes de 8.800 mètres, c’est-à-dire plus profonde que tous les océans connus ? La difficulté sera peut-être diminuée, en supposant que toute la terre n’a pas été inondée simultanément, mais successivement, par parties ; ce serait pourtant encore bien compliqué.

Et la conservation de ce que Dieu a voulu être sauvé n’est pas moins malaisée à concevoir dans l’hypothèse universaliste. Quant aux animaux, c’est Noé qui est chargé d’en « prendre » de toutes les espèces, de réunir ce qu’il faut pour leur alimentation, de leur trouver place dans l’arche, enfin de pourvoir à l’entretien et au bon gouvernement de ce monde en raccourci, que l’abri construit par le patriarche hébergera durant de longs mois. Et l’auteur sacré ne donne à entendre d’aucune manière que cela fût très difficile. Cependant, comment Noé aurait-il pu suffire à tout cela ? Ne fallait-il pas l’intervention de Dieu, sous forme de miracles sans nombre, pour amener de toutes les parties du monde les représentants de toutes les espèces, même les plus sauvages ? Une intervention non moins puissante était nécessaire pour maintenir dans la plus parfaite harmonie sur le vaisseau de Noé, durant un an, toutes ces bêtes ennemies les unes des autres, et surtout pour les faire subsister pendant ce temps, sous un climat nouveau pour beaucoup et dans des conditions d’existence si peu favorables pour la plupart. Il faut ajouter, au sortir de l’arche, bien d’autres miracles pour rapatrier tous ces émigrés, et plus encore pour les faire vivre sur la terre ravagée par le déluge, en attendant que la végétation fût assez développée, et les espèces animales, servant à la nourriture des autres, assez multipliées pour fournir à tous leur pâture normale.

En ce qui concerne les végétaux, nous trouvons seulement que Noé dut emporter ceux qui étaient nécessaires à l’entretien des passagers de l’arche, hommes et animaux (Gen., vi, 21). Ainsi purent être conservées au moins les plantes usuelles. Mais rien n’était prescrit pour le sauvetage des autres, et cependant toutes ou presque toutes devaient périr dans un déluge universel d’un an.

Les poissons eux-mêmes, ayant besoin pour vivre, les uns d’eau douce, les autres d’eau salée, auraient-ils pu, sans miracle, s’accommoder du milieu formé par le mélange de l’eau des pluies diluviennes et des flots amers de tous les océans ?

Tous ces miracles, et bien d’autres, qu’exige l’hypothèse de la submersion totale, ne seraient qu’un jeu pour la puissance divine ; mais nous n’avons pas le droit de les affirmer, alors que le récit inspiré du déluge ne les mentionne nullement, et même, comme nous venons de le voir, laisse plutôt entendre qu’ils n’ont pas été faits.

La force de ces raisons n’est pas énervée par la généralité des termes qu’emploie l’écrivain sacré pour marquer l’étendue de l’inondation. Les exégètes ont remarqué, il y a longtemps, que les expressions de