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autres, puisqu’il est de mcine nature qu’eux, aussi pauvre qu’eux. — La preuve par les degrés des êtres ne sélève du multiple à l’un qu’en s’élevant en mèine temps du composé au simple, de l’imparfait au parfait. Il ne sullit pas de poser en principe : « si un même caractère se trouve en plusieurs étres, l est impossible que chacun le possède par soi », il faut ajouter : « si un caractère, dont le concept n’implique pas imperfection, se trouve dans un être à un état imparfait, mélangé d’imperfection, cet être ne le possède pas par soi, mais le tient d’un autre qui le possède par soi ». 2° Ce deuxième principe, impliqué avec le précédent dans la niajeui’e de notre preuve, a été exposé par Platon dans le Philèbe, le Phédoii et autres dialogues. On ne peut dire, remarque-t-il, que Phédon soit beau sans restriction (Pkédvn, 102, b), que Socrate soit grand sans restriction, que la science des hommes soit la science sans restriction ; en eux ces qualités (la beauté, la grandeur, la science) ne sont pas pures, mais mélangées de leur contraire ; en effet Socrate est à la fois petit et grand, il est grand par rapport à Phédon, petit par rapport à Simmias, et donc il n’a pas la grandeur qui exclut la petitesse, mais seulement il en participe. La science humaine sait telle chose et ignore telle autre, elle est mêlée d’ignorance, elle n est pas la science sans restriction, mais participe de la science. — Comment passer de là à l’affirmation de l’existence de la beauté absolue, de la science absolue ? Souvent les cartésiens passent immédiatement de l’imparfait au parfait, ils négligent de résoudre ces notions en celles, plus simples et plus proches de l’être, de composition et de simplicité, de mélange et de pureté. C’est pourquoi les kantiens leur reprochent un recours inconscient à l’argument ontologique ; en réalité il y a recours au principe d’identité, mais encore faut-il l’établir.

Qui dit imperfection, dit composition ou mélange d’une perfection et de ce qui la limite. Cette limite peut être soit le contraire de la perfection (Socrate est grand et petit, il est dans la vérité et dans l’erreui-, à des points de vue divers), soit sa privation (la science humaine, qui sait certaines choses, est ignorante de certaines autres qu’elle est pourtant capable de savoir), soit sa négation (la science humaine sait certaines choses, et est ignorante de certaines autres qui lui sont inaccessibles). Peu importe que la limite qui constitue l’imperfection soit contraire, privative ou négative, nous cherchons pourquoi elle affecte ces perfections qui s’appellent la Ijcauté, la bonté, la science… ? Il est évident qu’aucune de ces perfections ne comporte de soi une limite et surtout telle limite ; la beauté n’est pas de soi mélangée de laideur, la science d’ignorance ou d’erreur, la bonté d’égoïsme ; l’alïirnier ce serait soutenir que l’union inconditionnelle du divers est possible, que le divers de soi est un au moins d’une unité d’union, que des éléments qui, par ce qui les constitue en propre, ne demandent pas à être unis, sont unis de soi ; ce serait nier le ])i’incipe d’identité. — Si l’une quelconque de ces perfections de soi ne couiporte pas de limite, encore moins comporte-t-elle de soi telle limiie, puisque cette limite varie ; la science progresse, notre bonté augmente ou diminue.

L’union d’une perfection et de sa limite, n’étant pas inconditionnelle, demande donc une raison d’être extrinsèque : « Quæ secundum se diversa sunt, non conveniunt in aliquod unum nisi per uliquam causant adunantem ipsa. » (I’», q. 3, a. 7.) Le nier, ce serait identifier ce qui n’a pas en soi sa raison d’être ou bien avec ce qui n’est pas (et n’a pas besoin de raison d’être), ou bien avec ce qui est par soi (et n’a pas besoin de raison d’être extrinsèque) ; en douter, ce serait douter de la distinction qui sépare ce qui

est sans être par soi ou de ce qui n’est pas ou de ce qui est par soi. k Tout composé, comme tout devenir, demande une cause. » Cf. plus haut, col. 996.

Cette raison d’être extrinsècjue, réalisatrice, autrement dit cette cause, où la trouver ? Serait-ce dans le sujet auquel conviennent la perfection donnée et sa limite ? Phédon peut-il rendre raison par lui-même de la beauté imparfaite qui est en lui ? Il est évident que Phédon ne possède pas cette perfection par ce qui le constitue en propre, pour deux raisons : 1° comme nous l’avons déjà dit, ce qui le constitue en propre n’est qu’en lui, la beauté au contraire se trouve en d’autres êtres ; 2° ce qui le constitue en propre est quelque chose d’indivisible, qui ne comporte pas le plus et le moins, tandis que la beauté même en Phédon a des degrés. « Quod alicui convenit ex sua natura et non ex aliqua causa, minoratum in eo et deficiens esse non potest. » (C. Gentes, 1. II, c. 15, § 2.) Dire que Phédon est beau par lui-même, alors que ce qui le constitue en propre est différent de la beauté, ce serait dire que des éléments de soi divers sont de soi quelque chose d’un, que l’union inconditionnelle du divers est possible, ce qui serait nier le principe d’identité. « Omne quod alicui convenit NON SECUXDUM QUOD IPSUM EST, per aliquum causant ei convenit, nam quod causant non hahet primum et i.MMEDiATfM est. » (C. Gciites, 1. II, c. 15, § 2.)

Ce qui se trouve dans un être sans lui appartenir selon ce qui le constitue en propre, est en lui quelque chose de causé, en effet, ne possédant pas ce caractère par soi et immédiatement (per se ei primo), Une peut le posséder queconditionnellement, parvin autre, et en fin de compte par un autre qui le possède par soi et immédiatement, selon ce qui le constitue en propre, secundum quod ipsum est. Partout où il y a diversité, composition, il y a conditionnement, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à l’identité iJiu-e. Celui-là seul peut exister par soi, qui a l’existence par ce qui le constitue en propre, tpii est à l’être comme A est A, cpii est l’Etre même ou l’existence même, Ipsum esse subsistens. — Toute limite d’essence poserait en lui une dualité entre ce qui serait susceptible d’exister et l’existence même ; l’existence ne lui conviendrait plus, dès lors, qu’à titre de prédicat accidentel ou contingent, et il faudrait remonter plus haut pour trouver une cause, jusqu’à ce qu’on ait atteint la simplicité pure et par là même la pure perfection sans mélange d’imperfection. Toute limite imposée à la Bonté, à la Beauté, à la Science, à la Justice suprêmes, poserait en elles dualité et par là même contingence. — Le principe d’identité apparaît ainsi encore une fois, non pas seulement comme la loi suprême de la pensée, mais comme la loi suprême du réel. Nous arrivons par là à une seconde réfutation du panthéisme : Le premier être est essentiellement distinct du monde, non plus seulement parce qu’il est essentiellement immualîle tandis que le monde est essentiellement changeant, mais parce qu’il est essentiellement simple et pur tandis que le monde est essentiellement composé et mêlé. C’est, nous l’avons vu, la réfutation du pantliéisme donnée par le Concile du Vatican. « Beus cum sit una singularis simplex OMMXO et incommutabilis substantia spiritualis, prædicandus est re et essentia a mundo distinctus. » Sess.in, CI. — Dieu est l’Etre pur sans mélange de non-être. — S. Augustin, s’exprimait à peu près de même dans la Cité de Dieu, 1. VIII, c. vi, et deTrinitate, 1. VIII, c. IV, où il réunit la preuve par les degrés à celle par le mouvement, et la rend ainsi plus frappante. Si un être, reinarque-t-il, est plus ou moins beau suivant les moments où on le considère, si sa beauté est variable, il est évident qu’il ne possède pas la beauté par soi ; lorsqu’il passe du moins au