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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/548

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DIEU

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qui serait la ruine du système deSecrétan, ou si c’est l’inverse et si « la liberté absolue se confond avec cette contingence radicale dont on nous dit qu’elle est la ncjïation de la causalité. Voilà le dilemme qui se posait et qui méritait bien quelque attention. Secrétan passe outre, sans faire aucun ellbrt pour y échapper ». PiixoN, La Philosophie de Secrétan, p. 33. Tandis que la liberté ne se conçoit pas sans l’intelligence qui délibère, rintelligence se conçoit sans la liberté ; l’intelligence est donc première, c’est la liberté, nous allons le Aoir, qui est dérivée. La thèse liljertiste conduit d’ailleurs à soutenir, avec Ockam et Descartes, que Dieu a établi la distinction du bien et du mal par un décret purement arbitraire. Tout catholique doit admettre que c’est là h déshonorer >i Dieu, comme le dit Leibniz, k Pourquoi (Dieu) ne serait-il donc pas aussi bien le mauvais principe des manichéens que le bon principe des orthodoxes ? » Leibniz, Théodicée, II, § 176 et 177. Il n’est pas moins contradictoire de soutenir que Dieu est cause de lui-même. Pour causer il faut être, « nulla res sufficit, qujd sitsibi causa esseudi, si habeat esse causatum >-, dit S. Thomas, I ». q. 3, a. 4- Dieu ne peut être que ratio sui. en tant que son essence dans sa raison formelle implique l’existence actuelle, et c’est précisément ce que veut dire le mot aséité. Dieu est a se, par soi, sans être cause de lui-même. De même dans l’ordre dinvention, le principe de causalité n’est pas le principe suprême, il n’est qu’un dérivé du principe de raison d’être, qui se rattache lui-même au principe d’identité.

Nous ne saurions admettre non plus que le constitutif formel de l’essence divine est le Bien. S. Thomas a montré, fa, q. 5, a. 2, l’trum bonum sit prius secunduni rationem quam ens.’que Vêtre a une priorité logique sur le bien. La raison formelle de bien ajoute quelque chose à celle d’être : le bien, c’est l’être arrivé à sa plénitude, à sa perfection, et capable d’attirer l’appétit, le désir, de provoquer l’amour, de perfectionner et de rendre heureux ; Bonum est quod omnia appefuiit. D’un mot : le bien c’est l’être entant que désirable, et s’il s’agit du bien honnête, c’est l’être en tant que devant être désiré. Par là même, la raison de bien est moins simple, partant moins indépendante, moins absolue, moins imiverselle que la notion d’être. L’être, loin de supposer le bien, est supposé par lui et reste la notion première. Il en est de même de l’intelligence, spécifiée par l’être, à l’égard de la volonté spécifiée par le bien, cf. I^, q. 82, a. 3. Utrum vuluntas sit altior quam intellectus. — Mais si en soi et absolument (simpliciter) l’être a une priorité sur le bien, à un point de ue (secundum quid) le bien a une priorité sur l’être. C’est ce que S, Thomas explique la, q. 5, a. 2, ad i>>™ : k Au point de vue delà causalité, le bien a une priorité sur l’être. Le bien est en effet ce qui est désirable, et à ce titre a raison de fin. Or la cause finale est la première de toutes, l’agent n’agit qu’en vue d’une fin, et c’est de lui que la matière reçoit la forme. Au point de vue de la causalité, le bien a donc une priorité sur l’être, connue la cause finale a une priorité sur la cause formelle, et c’est pour ce motif que DEXYs(Z>e div. nom., c.5), parmi les noms qui expriment la causalité divine ou le rapport de Dieu aux créatures, place le bien avant l’être. » Ainsi donc, pour nous ou relativement à nous, dans ses rapports de causalité avec nous, Dieu est avant tout le bon Dieu, le Bien même : Bonum est essejitialiter diffusivum sui. Et c’est ce qu’il y a de vrai dans le fameux texte de Platon que nous avons cité. Mais si l’on considère Dieu en lui-même et non plus relativement à nous. Dieu est avant tout l’Etre même. L’Etre est, en soi et absolument, antérieur au Bien.

— Cette thèse de la priorité absolue de l’être a été très bien mise en relief par le P. Gardeil dans son livre « Du Donné révélé à la Théologie y Paris, 1910, p. 279-284, à propos des systèmes théologiques, là où il oppose le thomisme et l’augustinisme. Ce dernier système, avec Pierre Lombard, au lieu de considérer l’objet de la théologie en lui-même, le considère par/- r/^^or/ rt nous, en fonction de l’appétit et de ses deux actes le frui et 1’» */. C’est le principe de la division des Sentences de Pierre Lombard, Dieu y est avant tout l’être dont on ne peut se servir mais dont on doit jouir, tandis que les choses créées sont faites pour être utilisées, en vue de l’éternelle jouissance. Au contraire, dans la Somme Théologique de S. Thomas qui considère l’objet de la Théologie en lui-même. Dieu est avant tout le Premier Etre.

« Autant que nous pouvons en juger par notre

intelligence, le bien, l’action, le désir, sont essentiellement de l’être, et un certain mode de l’être ; il nous est impossible de dire que l’être est essentiellement un mode du bien, de l’action. La conception ontologique déborde en universalité la conception dynamique, elle l’englobe et n’est pas englobée par elle. ^> P. Gardeil, loc. cit. — Voir aussi l’article Bien du Dict. de Théol. cathol., par le même auteur.

Restent deux perfections absolues qui se disputent la primauté, Vêtre et.Vintellection. Dieu est-il avant tout l’Etre même, l’Acte pur ou bien la Pensée de la pensée ? Selon nous, la chose n’est pas douteuse. Dieu est avant tout l’Etre même, parce qu’il y a priorité de l’être sur la pensée, de l’intelligible sur l’intelligence. Comme le montre Aristote précisément à l’endroit où il parle de la KcVirt ; v5/ ; 71'>j ; s/ ; ti ; (Met., Xll, c. 9), ce qui fait la perfection del’intellection, c’est l’intelligible qui la spécifie ; « la preuve en est, dit-il, qu’il est des choses qu’il vaut mieux ignorer », il n’y a aucune perfection à les connaître, la perfection de la connaissance vient donc de la dignité de la chose connue. Aussi l’Acte pur est-il avant tout pour Aristote le premier intelligible ri ttcCjtov vor.rov (Met., XII, c. 7), la vsV ; 71 ; objective, plus encore que l’acte éternel d’intellection qui a pour objet cet intelligible suprême. On reconnaît là l’objectivisme antique. — Tandis que l’être est un absolu qui se conçoit par lui-même, l’intelligence ne se peut concevoir que comme une vivante relation à l’être. Notre toute première idée dans l’ordre d’invention, est l’idée d’être, notre tout premier principe, celui qui énonce ce qui convient premièrement à l’être, le principe d’identité, « l’être est ce qui est. et ne peut être ce qui n’est pas ». Dans l’ordre synthétique ou déductif, in viajudicii, la vérité fondamentale, raison suprême de toutes les autres, réponse aux derniers pourquoi sur Dieu et sur le monde, est le même principe d’identité, mais à l’état concret cette fois : « Je suis Celui qui est et ne peux pas ne pas être. » Comme l’a admirablement montré le Père Del Prado dans son traité de Veritate fundamentali philosophiæ chrislianæ (Fribourg, Suisse. 1899-1906), telle est la clef de voûte du traité de Dieu, le terme des preuves de l’existence de Dieu et le point de départ de la déduction des attributs. De par le principe d’identité impliqué dans notre première idée, l’idée d’être, est requis un être en qui s’identifient l’essence et l’existence, pur être, sans mélange de potentialité, sans limites, qui soit à l’être comme A est A, en qui se réalise dans toute sa pureté le principe d’identité, qui soit l’Etre, au lieu simplement d’avoir l’être : « Je suis Celui quiest. » (Exode. c. m.) Selon S. Thomas, la, q. 13, a. 11, hoc nomen Qui est est maxime proprium nomen Dei, pour trois raisons : 1° parce que l’essence de Dieu est l’existence même ; 2" parce que l’être est de tous les concepts analogi-