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DIVORCE

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parmi les plus célèbres de l’histoire de France, montrant pourquoi dans les uns l’Eglise a accordé, dans les autres elle a refusé, non le divorce, mais la déclaration de nullité, ou la rupture d’un premier mariage, avec faculté d’un second mariage.

1° L’Eglise n’a jamais accordé, pas plus à un prince qu’à tout autre fidèle, le dh’orce proprement dit, c’est-à-dire la rupture d’un mariage validement contracté et consommé, et la permission d’un second mariage.

2° L’Eglise a plus d’une fois, poir des princes comme pour d’autres fidèles, reconnu l’invalidité originelle d’un premier mariage et par conséquent la licéité d’un second mariage. Elle a, en outre, pour de sérieuses raisons, rompu plus d’un mariage validement contracté mais non consommé. Ces raisons pouvaient se présenter plus nombreuses et plus fortes en faveur des princes qu’en faveur des simples sujets.

3" Des défaillances d’hommes d’Eglise, voire de conciles particuliers, dans l’application des principes ci-dessus énoncés, ne sont pas niables. Des évcques, des officialités, des conciles particuliers, tout en maintenant le principe de l’indissolubilité du mariage validement contracté et consommé, ont admis trop facilement l’invalidité originelle de tel ou tel mariage princier, ou sa non-consommation, et par là servi les passions d’un souverain. Généralement les Papes se sont montrés, en cette matière, fidèles à leur devoir, et Joseph de Maistre a signalé avec raison, comme une des principales causes de leurs démêlés aA ec les princes « l’inébranlable maintien des lois du mariage contre toutes les attaques du libertinage tout-puissant » (Du Pape, chap. 7).

On cite, à l’enconlre, la rupture du mariage de Lucrèce Borgia avec Jean Sforza, prononcée en 1^97 par Alexandre VI, père de Lucrèce, pour permettre à celle-ci une plus brillante union : Lucrèce jura que le mariage n’avait pas été consommé ; Jean Sforza protesta d’abord, puis, cédant à la pression exercée par sa famille, donna par écrit la même attestation. Personne ne prit au sérieux ces déclarations, et la rupture du mariage de Lucrèce compte au nombre des pires scandales du règne d’Alexandre VI (cf. Grego-Rovius, Lucrèce Borgia, t. I, p. 202 sq. ; Pastor, Histoire des Papes, t. V, p. 498).

Il nous reste à examiner quelques exemples, célèbres dans notre histoire, d’instances en rupture de mariage, dont les unes furent repoussées, les autres admises par les Papes.

1" Lothaire, roi de Lorraine, et Teutberge (années 807 sq.). — Lothaire II, roi de Lorraine, frère de l’Empereur Louis II, avait répudié en 85^ sa femme Teutberge, et vivait mai-italement avec sa concubine Waldrade. Waldradc exigea le mariage. Pour faire casser sa première union, Lothaire II accusa Teutberge d’un inceste et d’un avortement commis avant son mariage, et découverts dans la suite ; à l’époque, ces crimes étaient considérés, par les évcques de l’enqiire franc, comme rendant invalide le mariage subséquent (Juxgmann, Dissertationes, t. III, p. 286 sq.). La reine se justifia par l’ordalie de l’eau bouillante, dont sortit indemne un de ses serviteurs ; surtout elle prouva rinvraiseml)lance évidente des accusations portées contre elle ; un premier concile d’évcques lorrains lui donna raison. En 860, Lothaire II revint à la charge ; à force de mauvais traitements, il arracha à la malheureuse Teutberge l’altestation de ses prétendues fautes ; le concile d’Aix-la-Chapelle enregistra son aveu, et lui imposa une pénitence. En 862, un nouveau concile déclara nul son mariage, et Lothaire épousa solennellement

Waldrade. Teutberge, réfugiée sur les terres de Charles le Chauve, en appela au Pape S. Nicolas I""" ; l’épiscopat français, et en particulier le fameux Hinkmar, archevêque de Reims, prirent sa défense et l’appuyèrent auprès du Pape. Deux légats, envoyés par S. Nicolas 1 « " en France en 863, eurent la faiblesse de confirmer la sentence des évêques lorrains. Heureusement S. Nicolas voulut prendre lui-même connaissance des pièces du procès. Pleinement convaincu du bon droit de Teutberge, il déposa et interdit les évêques de Cologne et de Trêves, qui s’étaient faits les instruments de Lothaire, et cassa les sentences du sjnode lorrain et des légats. Rien ne put le faire revenir sur sa décision, pas même le siège mis devant Rome pai" l’Empereur Louis II, qui soutenait son frère. Les deux évêques coupables et Lothaire durent faire leur soumission et accepter une pénitence ; Teutberge fut reconduite à son mari par un légat. Mais la nmlheureuse fennne fut l’objet de telles vexations qu’elle-même demanda au Pape la permission de se retirer dans un monastère, afin que Lothaire pût épouser Waldrade. Nicolas refusa, à moins que Lothaire ne fît vœu de continence. Après la mort du Pape, Lothaire demanda et obtint d’Hadrien II, successeur de Nicolas, la reprise du procès ; il mourut, le 8 août 869, avant que le synode romain qui devait statuer sur son cas se fût réuni (cf. Jungmann, Dissertationes in Bistoriam Ecclesiasticam, t. III, p. 288 sq., Ratisbonne, 1882 ; Parisot, Histoire du royaume de Lorraine sous les Carolingiens, ]). i/Jô sq., Paris, 1898 ; RoY, S. Nicolas I^ p. 45 sq., Paris, 1899).

2° Philippe-Auguste et Ingeburge (1198 sq.).

— Ingeburge de Danemark, seconde épouse de Philippe-Auguste, ne jouit pas longtemps de la faveur du roi. Dès le lendemain de son mariage, pour des raisons restées inconnues, Philippe déclara vouloir la répudier, et tenta de la remettre à l’ambassade danoise qui l’avait amenée en France. Sur le refus des ambassadeurs et de la reine elle-même, Ingeburge fut enfermée dans un monastère. Un synode français réuni à Compiègne déclara invalide son mariage, à cause de sa parenté éloignée avec Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe. A l’annonce de cette inique sentence, la malheureuse princesse, qui ne savait pas notre langue, s’écria : « Mala Francia, mala Francia. » Et elle ajouta aussitôt : « Roma, Roma. » Sa confiance ne fut pas trompée. Célestin III déclara

« illégale, nulle et non avenue » la sentence de rupture.

Malgré cet arrêt, Philippe épousa Agnès ou Marie de Méran, fille d’un grand seigneur bavarois. Innocent III, successeur de Célestin III, n’ayant pu, malgré ses démarches répétées, ramener au devoir le roi de France, fit jeter l’interdit sur le royaume par un légat (1198). Philippe tenta de résister ; contraint par lindignation populaire, il fit mine, en 1200, de reprendre sa femme, et l’interdit fut levé. Agnès de Méran, à laquelle le roi avait gardé toute sa faveur, mourut en 1201 ; Ingeburge, accablée de mauvais traitements, emprisonnée, n’avait, en réalité, recouvré aucun de ses droits, et Philippe s’acharnait à demander au Pape la revision de son procès. Pour ménager le puissant roi de France, Innocent III fît toutes les concessions que sa conscience lui permettait ; il alla jusqu’à légitimer les deux enfants que Philippe avait eus d’Agnès de Méran ; mais il n’abandonna pas la cause d’Ingeburge. En avril 1218, Philippe, lassé de la lutte, ayant besoin de l’appui du Pape et du Danemark pour sa guerre avec l’Angleterre, rendit à Ingeburge sa place de reine ; après la mort du roi (1228) Ingeburge fut, pendant les quinze années qu’elle vécut encore, traitée en souveraine, et jouit de la somme de 10.000 livres parisis que Phi-