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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/592

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DOGME

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de penser, la foi, et une façon d’agir, la loi. Cette connexion, on l’entrevoit, même quand on ne peut l’anal jser en langage d’rcole ; ce qui est plus grave, comme elle découle de la nature des choses, on la traduit en jugements instinctifs, même quand on y pense le moins.

En voici les conséquences présentes.

Ce lien j^erçu par tous entre les préceptes chrétiens et les faits chrétiens induit à des illations très simples, souvent à peine raisonnées. Ainsi, pour passer de la sainteté de la morale chrétienne à la sainteté suréminente du Christ et de sa Mère, il n’y a pas, pour la masse des fldèles, la distance d’un syllogisme. Les doctes s’embarrasseront de difficultés spéculatives ou exégétiques, où les simples auront vu plus juste, négligeant ces détails poiu- une loi plus profonde. Quand on ol)serve à quel degré la chasteté chrétienne, qui interdit jusqu’au désir intérieur, a frappé les premiers convertis (Hermas, Vis., i, c. i ; .Mandat., IV, c. i, dan&FvyK, Die Jjwstol. Vciter, in-8°, Tubingue, 1901, p. 167 ; S. Justin, Jpo/., I, n. b, P. G., t. VI, col. 349 ; Athiîxagore, Légat. ^ c. xxxii, ihici : , col. 964), on trouve d’une singulière fantaisie d’aller chercher avec Rôsch, von Lomeritz, E. S. Hartland et leurs succédanés français, Herzog et Saintyves, dans le culte d’Astarté, l’explication de la croyance à la virginité de Marie !

De manière plus intime encore, la pratique de la morale chrétienne éclaire et soutient la croyance.

C’est tout d’abord en la faisant passer de l’esprit dans le cœur et comme dans le sens, en amenant à goûter les choses de la foi.

Tant que la volonté regimbe contre les préceptes, elle n’éprouve que répulsion pour les dogmes qui les fondent ; elle jiousse à la révolte l’intelligence, incommodée déjà par l’obscurité des mystères. Cet état de lutte intérieure ne laisse place ni à la lumière, ni à la paix.

Au contraire, dès que la volonté s’est soumise, la raison pénètre aisément et la convenance de la soumission intellectuelle, quand Dieu parle, et la valeur rationnelle de ce qu’il a dit. L’expérience quotidienne fait éprouA cr tout ce que ces paroles divines apportent de stimulant et de réconfort, pour aider à mener la ide normale, celle que les préceptes imposent, et qui est aussi, autant qu’une i)ériode d’épreuve peut être une époque de jouissance, la vie heureuse. L’obéissance de rintelligence et l’obéissance de la volonté se soutiennent l’une l’autre, et Dieu les paie largement. Il se donne à qui se donne. Avi lieu de se faire seulement croire et obéir, il se fait goûter. Ce commencement de lumière dans les obscurités de la foi, et ce commencement de douceur dans les austérités de la loi, entraînent, à un degré infime, comme une expérience sensible des choses de Dieu. Puritate cordis et manda conscientia interius jam gi^sfare incipiunt quod fide credant. Hugues de S. Victob, De Sacram., l. I, p. x, c. 4, P. L., t. CLXXVL p. 332, 333 ; cf. col. 1143, 3°. Rien n’attache à la foi de manière aussi efficace.

C’est peu encore de purifier l’àme et de la mettre ainsi comme en contact avec Dieu ; la morale chrétienne — et c’est là au fond toute sa raison d’être

— l’assimile, autant que faire se peut, à la piu’cté. à la justice, et, ce qui est plus encore, à la charité de Dieu, c’est-à-dire à toutes ces perfections du Législateur qui sont le principe des vérités promulguées et des préceptes imposés. Par assimilation de nature, d’autant plus intime que la pratique est plus intense, le fidèle arrive donc à percevoir l’harmonie de la foi et de la loi, dans leur source même, disons plus, dans l’harmonie de sa nature avec celle de Dieu.

Chacun concède que la charité est le principe de

tout dans l’économie du salut. Le fidèle fondé dans lamour comprend donc les dispositions divines à l’égard du Christ, de sa Mère, des Saints, des pécheurs, non dans leur aspect dialectique, mais dans leur cause dernière, la charité de Dieu, qui vit en lui. Plus elle sera devenue l’àme de son ànxe, plus le détail et l’ensemble des dogmes lui jiaraîtront convenables, presque obvies, sans que sa raison intervienne, comme par une pente de nature, qui lui est commune avec Dieu, per quandam affinitatem ad divina. S. Thomas, In IV Sent. I. III, dist. 35, q. 2, a. I, sol. I, c. et ad. i" ; per quandam unionem ad divina, ibid., sol. 3 ; per modum inclinationis, la, q, I, a. 6, ad. 3", etc.

C’est là une vieille thèse. S. Thomas l’appuie avec raison sur la doctrine de S. Paul : « Celui qui s’vinit au Seignem- est un seul esprit Oi’ec Lui. » / Cor., vi, 17 ; II, 14. 15 ; Boni., viii, 5. Les Pèi’es l’ont reprise à satiété. Très en faveur chez les Yictorins, elle a été acceptée de tous les scolastiques. Sous une forme parfois rudimentaire, c’est un lien commun de la chaire chrétienne ; cf. Bossuet, édit. Lebarq, Œusres oratoires, iii-fi°. Pai-is, 1892, t. V, p. 168 ; cf. t. lY, p.581 sq. ; t. V, p. 597 sq.

Ce que nous venons de dire delà morale s’applique au même titre à la liturgie. Elle aussi dérive du dogme et conduit à le retrouver. Elle le traduit en gestes, mais ce rite extérieur n’est pas à lui-même son but ; il a pour raison une lin plus haute : celle d’élever les âmes à penser de Dieu, à agir avec Dieu, comme il convient. En imposant au cor])S des démai’ches et des attitudes, c’est donc à façonner les âmes qu’elle vise et qu’elle aboutit.

A juger ainsi plus exactement des choses, c’est le dogme cpii commande la morale et la liturgie ; l’une et l’autre l’expriment ; l’une et l’autre le conservent dans les coeurs, avec des nuances et uneeflicacité que n’ont pas les textes écrits. Ils maintiennent vivant l’esprit à côté de la lettre. De ce chef, il y a dans la vie ascétique et dans la vie liturgique de l’Eglise un quelque chose qui, pour ne pas tomber sous le scalpel des philologues et des critiques, pas plus que le principe vital sous celui du chirurgien, n’en est pas moins l’un des facteurs les plus puissants de la vie du dogme.

De cette influence de la pratique, logique rudimentaire qu’elle commande, expérience commencée qu’elle provoque, assimilation d’àme qu’elle produit, procède la staljilité des masses dans la foi reçue. De là. si FI l’ardeur du prosélytisme et la ferveur de la piété se joignent à ces convictions, un désir plus ou moins vif, suivant les temps, de passer d’une prédication initiale, inégale et par endroits insuflisante, à une promulgation officielle, qui mette terme aux hésitations. Cf. Mgr Malou, L Immaculée Conception, in-S". Bruxelles, 1857, t. I. p. 37 sq., 43 sq. ; MGR Pie, Instruction pastorale sur le culte de S. Joseph, Œus’res, in-80, Paris. 187g. t. VII, p. 113-134.

Pour ne pas mêler ces vérités à des thèses irrecevables, il importe de bien préciser un point : ni cette ! logique instinctive, ni cette expérience, ni cette assi-i> milation d’àme ne donnent l’origine première du> dogme. Elles ne dispensent ni de la révélation exté-^ rieure du Christ, ni de la prédication ecclésiastique, * car « la foi vient de la prédication », Boni., x, 17, ni.f de l’obéissance intellectuelle au magistère enseignant, | : car qui l’écoute entend le Christ, Luc, x, 16. Nousf reviendrons plus loin sur ce sujet, col. I173, I181.| Cf. de la Barre, op. cit., p. II, c. 11, Le Sens catholique, % p. 157-166. 1

4" Le Saint-Esprit. — De tous les facteurs du déve-î loppement dogmatique le premier, c’est le Saint-’Esprit.

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