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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/615

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DUEL

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niés. J’admets tout, je concède tout ! Le duel est un préjugé vain et absurde, tant que vous voudrez, je souhaite qu’on le déracine au plus vite, j’applaudis aux efforts de vos ligues et de vos jurys d’honneur, je dis comme vous que dans cent ans on trouvera plaisant (( de lire dans l’histoire qu’un tel s’étant entendu dire par un autre que sa personne manquait d’élégance, ou autre chose de ce genre, fut contraint par ses amis de se laver dans son propre sang de cette impolitesse reçue ». (Lettre du prince Alfonso dk BouRBOX. Résumé de l’histoire… de la ligue contre le duel, p. 62,) Mais en attendant cet hem-eux jour, si je suis provoqué en duel et que je refuse de me battre, on me regardera comme un lâche ; — la lâcheté est une honte pire que la mort ; vous admettez que j’ai le droit de protéger ma vie par une défense légitime, j’ai autant et plus de droit de me préserver de la honte par le duel. » Voici donc la grande raison : refuser un duel, c’est encourir la honte qui est attachée à la lâcheté ; l’accepter, c’est une preuve de courage qui vous conserve rvo « /ie(/r mondain et l’estime des gens bien élevés. Certes, nous ne nierons point qu il faille un certain coiu-age pour se battre en duel. Nous jugeons plus bra^e celui qui va sur le terrain que celui qui, tremblant de frayeur à la vue d’une épée, s’enfuit et va se cacher. Le général de Sonis apprend qu’un soldat, contraint de se battre en duel, s’était enfui et avait été puni par le colonel de huit jours de prison ; il porte à trente jours la peine du soldat en punition de sa lâcheté, mais inflige huit jours d’arrêts au colonel pour avoir outrepassé ses droits en commandant le duel. Il n’avait pas à trancher le cas de conscience en moi-aliste ; mais, si le soldat avait refusé de se battre en disant : « Ma conscience me le défend « , Sonis aurait levé sa punition ; dans la fuite il vit une lâcheté, dans le refus dicté par la conscience du chrétien il aurait "vu un acte de courage. Autre chose est en elfct de refuser un duel par peur, autre chose est de le refuser par courage. En faut-il moins pour le repousser au nom de sa conscience et de son devoir de clirétien, que pour l’accejjter en capitulant devant un préjugé que l’on trouve soimême déraisonnable et absurde ? Car, suivant une remarque de Mgr Freppel, « les duellistes les plus incorrigibles conviennent eux-mêmes que le duel est tout ce qu’il y a de plus contraire au sens comnuin et qu’il est la chose du monde la plus déraisonnable, la plus absurde ».

Est-ce même un vrai courage, que de se battre en duel ? S’il s’agit du duelliste de profession qui se fait un titi’e de gloire de provoquer les autres, il est permis d’en douter. « C’est un tour d’art et de science, répond MoNTAiGNK, qui pcut tomber en une personne lâche et de néant, d’être suflisanl à l’escrime. » Et le Bourgeois-gentilhomme : « Celui qui entend la tierce et la quarte est sîir, sans avoir de cœur, de tuer son homme et de ne l’être point. » S’agit -il de celui qui accejite le duel. Hien souvent chez lui aussi la peur du duel est surmontée par une autre peur, celle du ridicule. Et les mof|ueries et les silllets de la galerie en imposent bien aulronicnt que le miroitement des épées. Ajoutez la déconsidération aux yeux de beaucoup, i)arfois le dommage matériel à su))ir, si on recule. Où voit-on donc le courage quanti on est ainsi acculé et qu’il faut aller de l’avant, bon gré mal gré ? (Cf. Résumé de I histoire … des ligues contre le duel, pp. 86-~.) Il y a un courage infiniment sii[)crieur à celui de riscpier la blessure souvent légère d’un (îoiip d’épée, et ce courage consiste dans l’obéissance à sa raison et à sa conscience au lieu d’une servitude humiliante à roi)inion publique. « A la làclieté, dit magistralement Li’ ; oN XIII, est opposée la force, non une audace qui s’exerce témérairement sans tenir conq)le

de la prudence et de la charité. A la force, à l’intrépidité est dû l’honneur, ici c’est la témérité et l’audace qui s’exercent, vices qui méritent le mépris. Celui qui dédaigne les vaines opinions de la foule, qui aime mieux subir la flagellation des outrages que d’être jamais infidèle à son devoir, celui-là montre une âme plus grande et plus élevée que l’autre qui court aux armes, aiguillonné pai- l’injure. Bien plus, à juger sainement, il est le seul chez qui brille le courage solide, ce courage, dis-je, qui s’appelle la Acrtu et qu’accompagne une gloire ni trompeuse, ni mensongère. La vertu, en effet, consiste dans le ]nen en accord avec la raison, et toute gloire, si elle ne se fonde pas sur l’approbation de Dieu, est une gloire stupide.)) (Lettre citée, p. 89.)

e) Mais enfin, aux yeux du monde, l’honneur de celui qui refuse le duel reste entaché ; l’accusation de lâcheté le poursuit dans toutes les sociétés, N’j^ a-t-il pas pour lui de moyens de sauvegarder cet honneur, de forcer le respect et de commander l’admiration des mondains ? Il en existe, et cette fois des moyens licites, nobles, utiles au bien public et dignes d’une grande âme. Un gentilhomme de bonne race et de grand cœur, Louis de Sales, se déclarait décidé à refuser toute provocation en duel : « Si cela faisait douter de mon courage, ajoutait-il, je presserais mon ennemi de Aenir avec moi se jeter aux pieds du prince lui déclarer nos différends et le supplier de nous exposer à la guerre dans les postes où le danger serait le plus évident, et l’on verrait qui des deux adversaires ferait le mieux le devoir de brave homme. » D’autres en Belgique ont fait éclater leur courage en se dévouant à soigner les malades dans les hôpitaux. On a au récemment encore en France, après un refus de duel, des olliciers demandant à partir pour les colonies et revenant ensuite, après s’y être comportés en bravcs, reprendre leur place dans leur régiment, ayant prouAé par leur conduite héroïque que c’était un courage Airil et non une peur dégradante, qui les avait empêchés d’accepter le défi, et cju’ils aA aient eu, de plus que leurs provocateurs, le courage d’exposer leur Aie aux ardeurs de climats meurtriers ou sous la balle des ennemis pour le ser-Aice de leur patrie. II en est toujours ainsi : pour que la vertu force l’admiration des mondains, il faut qu’elle sorte de l’ordinaire. Si l’on Acut sauvegarder, je ne dis pas son honneur véritable, il n’est pas compromis, mais jusqu’à sa réputation d’honneur aux yeux des cercles mondains et de la société, il faut, par des actions d’éclat, démontrer à tous qu’on est un brae. Si l’occasion ne s’en présente pas ou si l’on ne Acut pas aller jusque-là, qu’on se résigne à être traité par le monde comme le sont d’ordinaire, les gens vertueux quand ils obéissent en tout à leur conscience et à Dieu.

Le gentilhomme dont nous citions les paroles plus haut, Louis de Sales, ajoutait : « Si l’on regardait nui réponse comme une défaite et avec mépris, il faudrait m’en consoler et ne pas nuHtre en balance les folles idées de la a anité avec les jugeuuMitsde Dieu de ant lesquels elle se trouvera un jour confondue. « 

Conclusion. — En rcsunu’, que reste-t-il pour légitimer le duel ? Il ne peut ellaccr l’injure ou la calomnie ; il n’est i)as la preuve certaine d’un Arai courage ; il n’a plus

nv se justifier que l’approba tion des mondains et le vain i)réjugé de la mode. Qui fait cette opinion ? les clameurs de ses partisans, *|ui crient bien haut tandis <|ue les autres se taisent, et qui finissent par faire croire que loul liouuue bien élevé pense comme eux. « Sa force unique. disait le président du Congres antiduellisle de Budapest, est dans l’orgueil d’une fausse dignité et un amourpropre égoïste. : > (Compte rendu, p. 14) « Cet ab-