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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/633

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ÉGLISE (CriRETIExNTE PRIMITIVE)

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l’histoire découvrirait une première période, longue de cent vingt ou de cent cinquante ans, pendant laquelle cette organisation n’existait pas encore. Ce serait l’âge « précatlioliqtte « du christianisme. La conception hiérarchique et catholique de l’Eglise, le droit divin (surnaturel) du pouvoir pontifical et du pouvoir épiscopal, s’écrouleraient donc pai- la base ; et il faudrait dire avec Auguste Sab.vtier : « Le premier anneau de la chaîne d"or créée par le catholi-M cisme jiour rattacher sa liiérarchie aux apôtres,

« est un mythe. » (lieligioiis cl autorité, p. 141.)

Assez généralement, on reconnaît aujourd’hui qu’à la iin du ii" siècle, au temps de saint Irénée, au temps du Pape Victor et de la controverse pascale, le christianisme était vraiment une religion d’autorité. On regardait alors la hiérarchie épiscopale comme héritière du pouvoir et de l’enseignement des apôtres ; l’unité sociale et AÎsible de la chrétienté universelle trouvait son sjmbole et son centre dans l’Eglise romaine. Les textes historiques ne permettent aucune ombre de doute à cet égard. M. Henri MoNMER, aclievant un ouvrage consacré à établir le caractère tardif du catholicisme dans la chrétienté primitive (La notion de l’apostolat : des origines à Irénée. Paris, igoS, in-8°), donne pour titre à son dernier chapitre : Le système catholique : Irénée. Citons-en la déclaration capitale : « Ainsi, nous trou-vous déjà chez Irénée [tous les éléments conslitu<( tifs du catholicisme : le canon apostolique, la

« règle de foi apostolique, la succession apostolique, 
« et, couronnant l’édilice, la suprématie de Rome, 
« gardienne vigilante des traditions apostoliques » 

(p. 368).

Voici comment M. Harxack décrit le contraste qu’il y aurait entre ce christianisme catholique de la (in du II* siècle et le christianisme libre et mystique de la premièi’e génération :

« … Dans celt.^ institution, une cliose est déjà caractéristique : 

la distinction entre prêtres et laïques ; certains actes du culte ne peuvent être accomplis que par le prêtre, sa médiation est absolument indispensable. D’une façon générale, on ne peut plus s’approcher de Dieu que par des intermédiaires, par l’internaédiaire de la vraie doctrine, des vraies ordonnances et d’un livre sacré. La foi vivante semble s’être cliangce en une confession de foi à accepter ; la consécration à Christ, en cliristologie ; l’ardente espérance du royaume, en doctrines de rimmortalité et de la déification ; sl prophétie, en exégèse érudite et théologie savante ; les inspirés, en clercs ; les frères, en laïques sous tuleljp ; les miracles et les i^aérisons, en rien du tout ou en artifices de prêtres ; les ferventes prières, en liynines solennels et litanies ; V Esprit, en règles et canons. Ajoutez que les chrétiens sont lancés individuellement dans le grand courant de la vie du monde, et que la (pieslion brûlante entre toutes est celle-ci : dans quelle mesure peut-on participer à cette vie sans perdre sa ipialité de chrétien ? Ceiit vingt ans ont suffi pour accomplir ce formidable changement… » [Essence du christianisme. Traducl. l’J07, pp.’232, 233.)

Auguste Sabatiku décrit avec détail la Iransformationdu cliristianisme primitif, religion de l Esprit, en catholicisme hiérarcliiquc, religion d’autorité.

La première communauté chrétienne à Jérusalem n"a rien d’une liiérarchie indépendante. C’est un groupe mystique de Juifs pieux et enthousiastes, n’ayant d’autre règle de croyance et de conduite que l’inspiration privée, l’action intérieure et merveilleuse de l’Esprit-.Saint dans l’ànu* de ciiaque hdèle. Quand la prédication des apôtres eut multi|)lié les Eglises clircticnnes à travers le monde gréco-romain, ces conununautés earcnt, d’abord, le même caractère, mystique et enthousiaste, que l’Eglise de Jérusalem. Toutes les Eglises foruuiient autant de « fraternités » <listinctes, indépendantes ks unes des autres. Mais

toutes étaient reliées par la communauté d’un même Esprit, d’une même vie religieuse, d’une même espérance immortelle. Toutes appartenaient au même groupement invisible des élus et des saints. Et cette communion intérieure des âmes, cette unité d’ordre idéal et transcendant, qui rassemblait toutes les Eglises particulières, c’était la grande Eglise du Christ, l’Eglise universelle.

A mesure que les années passèrent, et que les générations chrétiennes se succédèrent les unes aux autres, la nécessité même de vivre et de durer parmi les conditions de la vie présente contraignit les Eglises particulières à dcA’enir progressivement des organismes hiérarchiques, analogues aux autres associations humaines, et l’unité morale et invisible de l’Eglise universelle tendit à s’actuer dans un corps social et visible. Bien des causes y contribuèrent : la multiplication du nombre des chrétiens, la diminution de la ferveur spirituelle et de l’enthousiasme primitif, mais surtout l’apparition des hérésies. La chrétienté traversa, au second siècle, les deux grandes crises du gnosticisme et du montanisme : l’une était un réveil de l’esprit hellénique et l’autre un réveil de l’esprit juif. Pour faire face à l’ennemi intérieur, la société chrétienne se replia sur elle-même et perfectionna son organisation. Dans chaque Eglise locale, naquit ou se fortifia le pouvoir de l’évêque. Dans toute la chrétienté, les différentes Eglises se groupèrent ensemble autour de l’Eglise romaine, qui, forte des traditions de la cité impériale, prit énergiquement la direction de la lutte.

Dès lors, « ce qui était transcendant dans la foi de K Jésus et des apôtres devient une société historique

« et visible. L’idéal et le réel se confondent. Dieu

(( veut régir le monde par son Eglise, et l’Eglise règne u par sa liiérarchie ». Le catholicisme est fondé.

Cf. Aug. Sabatier : Zes re//^/on.s d autorité et la religion de l’Esprit. (Faris, 1 904, in-8) Livre I, chap.ii. L Eglise (pp. 47-83). Ad. Harnack : Bas Jf’esen des Christentums (Leipzig, 1901, in-8°), onzième conférence : Die christlische Religion in ihrer Entwicklung zuni Katholizismiis (pp. 119-130). Essence du christianisme. Traduct. de 1907 : La religion chrétienne dans son évolution vers le catholicisme (pp. 229-259).

— Vulgarisation dans Ch. Guignebert : Slunuel d’histoire ancienne du christianisme. Les origines (Paris, igo6, in-16). Chap. xni, pp. 508-515.

Par anticipation sur la l)il)liographie, nous tenons à signaler dès maintenant le très remarquable ouvrage de Mgr Batiffol : L’Eglise naissante et le catholicisme. (Première édition : Paris, 1909. in-12.) On y trouvera une discussion compétente et lumineuse du prol)lèine cjne nous abordons ici par un autre biais.

Dans un article de la Theolagi^che Literaturzeitung, paru le 16 janvier 1909, à propos du volume de Mgr Batilfol, M. Harnack signale des points de repère sur la coH/7>c qu’aurait accomplie le christianisme durant Vàge précatholique. Premier stade : l’an 30, avec Jésus lui-même. Second stade : l’an 60, avec les apôtres du Christ. Troisième stade : l’aa 90, avec les disciples (hiérarchisants) des apôtres. Quatrième stade : l’an 130, autour de la crise gnostique. Cinquième stade : l’an lOo, autour de la crise montaniste. Sixième stade : l’an 190, avec le catholicisme de Victor et d’Irénée. M. Harnack note, dans cette évolution, un déplacement imperce|)liblc, mais continu, d’influence au profit du facteur hiérarchie, et la disparition lente de ce principe de liberté qu’étail le rôle immédiat du IIv£j//a. (Depuis lors, M. Harnack a fait paraître : Entstehung und Entuickelung der Kirchenvcrfassung und des Kirchcnrechts in dcn m-et ersten Jahrhunderten. Leipzig. 1910, in-S°, pp. xi-152. Ouvrage totalement consacre à la question présente.)

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