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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/64

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AME

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Il regarde même au-dessus de lui pour voir si son existence finie et bornée n’a pas son explication et son principe dans une existence plus haute. Ya-t-il s’arrêter ? Le champ du proférés est-il désormais clos pour lui ?

Non. Vivant, je le suppose, dans la compagnie de natures intellijrentes comme il est intellijjent luimême, et au milieu de l’univers, il sentira bien vite qu’il lui serait extrêmement utile de pouvoir échanger quelques pensées avec ses semblables et de pouvoir, en une certaine mesure, régler et gouvei-ncr l’action des êtres qui l’entourent.

Voilà le doid)le progrès qu’il aspire dès lors à réaliser, et qu’il réalisera avec les notions générales et les principes dont il est en possession. Aux signes naturels, par lesquels il s’est vu lui-même exprimer sa pensée, il joindra des signes de convention, et, en combinant de diverses manières les activités et les lois qu’il a observées dans le monde, il arrivera à y régler, un peu selon ses désirs, la succession des événements.

Vous ai-je fait entrevoir, par cette série de déductions rapides, toute la portée, toute la plénitude de sens que renferment ces deux mots : pensée et raisonnement ?

Prenez la pensée la plus humble, choisissez la dernière des natures qui pense et qui raisonne, l’esprit qui émerge le moins au-dessus de la matière, poiu-vu que vous le supposiez, comme je le fais, dans des conditions favorables au développement et à l’exercice de sa puissance.

C’est un esprit, il pense et il raisonne :

Donc, il conçoit l’immatériel ;

Donc, il conçoit l’abstrait, l’universel ;

Donc, il formule des principes généraux ;

Donc, des phénomènes qu’il observera en lui et dans les êtres qui l’avoisinent, il inférera quelle est sa nature et celle des êtres qui l’entourent ;

Donc, nous le verrons rechercher quelle est son* origine et son principe ;

Donc, il découvrira les lois qui règlent son activité et celle des autres natures ;

Donc, il inventera des signes pour manifester ses pensées et ses impressions ;

Donc, il essayera de modifier, de gouverner à son profit les phénomènes de la nature.

J’allais omettre un point essentiel. Penser, c’est concevoir l’abstrait, le général. Qui pense ne conçoit donc pas seulement tel bien concret, mais le bien abstrait, général, universel, absolu, parfait. De là cette conséquence capitale : que nul être pensant, mis en présence de n’importe quel bien particulier fini, ne peut être nécessité à le vouloir et à le poursuivre. Tout bien fini, en effet, par cela seul qu’il est fini, ne réalisant pas tout l’idéal de la bonté, présente, de ce chef, une imperfection qui peut être à la volonté un motif d’aversion et de dégoût, et aura toujours une action trop faible pour vaincre, par luimême, la résistance que peut lui opposer une faculté dont la nature a pour objet adéquat le bien universel et parfait. (Saint Thomas, i> 2", q. xiii, a. 6.)

Penser, c’est donc encore être libre, non par rapport au bien ni à la félicité en général, mais par rapport au choix des biens particuliers et des moyens qui peuvent conduire au bien, au bonheur parfait.

Nous savons désormais ce que comportent naturellement la pensée et le raisonnement. Nous savons davantage : nous savons à quel signe, nous savons à quelle marque certaine on reconnaît leur présence.

Il y a pensée et raisonnement là où il paraît des notions abstraites universelles, là où se constate un progrès dans la science, mais un progrès qui, faisant passer de la connaissance des faits à la connais sance des lois, et de la connaissance des lois à celle des faits par une série d’opérations délicates et compliquées, est lent et laborieux comme une conquête ; mais un progrès dont le principe, dont le ressort, si je puis dire, est dans l’arbitre de l'être qui le réalise 1 et n’a pas eu chaque circonstance, pour cause déterI minante immédiate, une impulsion aveugle de nature ou une violence exercée du dehors ; mais un progrès enfin, qui, dans l’ordre pratique, se traduit par la recherche en tous sens et l’invention de ce qui jjeut I être utile et agréable, et perfectionner le commerce ' social, améliorer les conditions de l’existence. I Au contraire, là où tout s’explique par des notions i concrètes, là où l’on sait tout de naissance sans

; avoir rien appris et où l’on ignore invinciblement
; les lois et les raisons de ce que l’on fait comme de ce

j qui arrÎAe, là où existe l’immobilité, l’uniformité et, I en dépit des sollicitations les plus vives, des circonstances les plus favorables, le manque total d’invention et de progrès conscient et réfléchi, où rien ne sait se sortir de l’ornière, là, la pensée n’est point, là n’est point le raisonnement. Résumons tout en un mot :

Le Progrès, c’est-à-dire la marche en avant consciente, réfléchie, calculée, Aoulue librement quant aux détails, d’un être, jiar tous les chemins de la science, des arts et de la civilisation, est l’effet assuré et la marque infaillible de la pensée et du raisonnement évoluant dans des conditions normales et favorables.

Cela posé, nous pouvons résoudre la question : l’homme et l’animal pensent-ils et raisonnent-ils tous les deux ?

3*^ Pour l’homme, ce n’est pas une question. Son esprit, comme ses discours, sont remplis de termes généraux et abstraits. Les sciences dont il s’occupe, même les sciences d’observation — et c’est ce que les positivistes auraient dû remarquer — roulent sur des abstractions. Qu’est-ce que la botanique organique en général ? Une étude des plantes où l’on fait abstraction des caractères propres aux diverses espèces. Qu’est-ce que la zoologie organique ? L'étude des animaux en général, l'étude de l’animalité prise en soi. Qu’est-ce que la biologie ? L'étude de la vie, abstraction faite du sujet où elle réside, homme, plante, animal.

Et les principes, est-ce que tous, philosophes et savants de n’importe qiielle école, nous ne les invoquons pas à chaque instant ? Principes de contradiction, principe de causalité, principe de raison suffisante.

Possédant les notions générales et les principes transcendants, l’homme ne pouvait demeurer stationnaire et uniforme dans son savoir comme dans son agir. Sa nature lui commandait le progrès. Il a marché.

D’abord il s’est regardé, il s’est écouté vivre. Il s’est AU tout rayonnant de pensées étonnantes par leur nombre comme par leur variété, lui faisant un spectacle tour à tour charmant et terrible, humble et grandiose, joyeux et triste ; en même temps, il a senti passer en lui des impressions étranges, impression d’amour et impression de haine, impression de confiance et impression de crainte, le bonheur et la peine, l’indignation et l’espérance. A côté, et audessous de ces phénomènes, il en observe d’autres d’une nature moins élevée ; car son corps se meut et vibre, souffre, jouit, se défait et se refait.

Et l’homme se sentant l’auteur et le sujet, tout ensendde, de ces événements si divers, s’est demandé ce qu’il est lui-même.

Mais, sous ce voile des phénomènes qui l’enveloppe, il ne voit point, il n’aperçoit pas le fond de sa